lundi 30 juillet 2007

Tendre la main aux hommes du Néolithique


Passez la main sur ces meules et molettes du néolithique. Imaginez le geste habile des hommes d'hier. A la force du poignet ils travaillaient les grains sauvages collectés au Sahara, pour les moudre et faciliter leur alimentation.

A force d'être accroupis, agenouillés sur le sol, à créer de la farine, les femmes et hommes du néolithique avaient développé quelques pathologies, comme des usures caractéristiques des articulations à cause de mouvements beaucoup trop répétitifs.

Dans la Sahara Libyen nous trouvions de magnifiques meules tellement usées que la pierre dure offrait un galbe singulier, comme ces deux molettes au premier plan.
Celle du centre, noire est étonnante par sa forme oblonde. Elle était encore curieusement utilisée aujourd'hui par un Touareg pour poncer ses pieds. Je ne manquais pas de lui acheter après quelques tractations.

Les autres viennent d'Egypte, du Niger ou d'Algérie, avec des "peaux de pierre" plus ou moins fines. Mais toujours une excellente prise en main. Et l'émotion de tendre la main par le geste à des Hommes 8000 ans en arrière.

Artisanat du pain de sucre au Maroc

Nous étions sur les routes du Haut Altlas Marocain. Après 15 jours de marche, l'escapade au sommet du Mgoun (4067 m), nous retournons vers la ville. Dans une vallée un peu oubliée, un artisan travaille le bois pour les habitants tout autour et peut-être pour les grands souks de Marrakech. A son mur quelques vieux objets lui servent peut-être d'exemple pour de nouvelles créations. Dans la pièce, tout au fond, suspendu, je découvre ce vieux marteau pour pain de sucre.

L'objet n'est pas ordinaire. Le manche a été travaillé, incisé de multiples motifs géométriques, profondément dans le bois. Fallait-il l'apprécier ce marteau, lui donner un rôle particulier, au delà de sa fonction. L'ensemble est usé, pâtiné soulignant les veines du bois. On le prend bien en main et l'équilibre du poids donne une idée de la force possible pour casser des petits morceaux de sucre.

Je souligne mon intérêt, tente de négocier. L'artisan rechigne. Il n'est pas à vendre. Pourtant c'est un des objets qui me semble le plus intéressant. J'insiste un peu. L'affaire est conclue.

C'est un beau symbole. Avec son pain de sucre associé il souligne la grande époque du Maroc. Cette richesse apportée par le sucre au XVIIe siècle, plus de 500 ans après son introduction dans le pays. Aujourd'hui remplacé par la betterave sucrière, les champs de cannes à sucre étaient cultivés dans le temps dans les régions de Souss et de Chichaoua.

Les pains de sucre ont disparu de nos étales, seules les montagnes de France et d'Europe en gardent encore la mémoire en portant les noms donnés par les hommes.

samedi 28 juillet 2007

Invention du lait lyophilisé dans le désert de Mauritanie



La découverte du désert. A perte de vue observer le sable, les dunes, ces courbes parfaites. Ce sentiment d'infini, de perfection. L'impression de l'Unique en ce lieu. D'être soi-même, d'exister car rien ne vient vous perturber. Aucun son, ni aspérités. Tout est fluide.

Tel un enfant je ne pouvais éviter de courir, de monter les dunes, les descendre, glisser sur le sable blond ou ocre, avec le sentiment d'avoir le coeur plein, riche de cette expérience et de cet immense vide.

C'était ma première impression du désert, du vrai, de celui de la Mauritanie. Certes j'avais déjà rencontré les déserts de pierre en Israël, en Jordanie, en Irak, en Turquie, au Yemen... Mais là c'était le royaume sauvage du sable, l'impression d'être seul et d'exister dans l'harmonie hostile du lieu. Magnifique. Grisant. Inoubliable.

D'autres déserts extraordinaires en Algérie, Libye, Egypte, m'offrirent d'autres impressions mais jamais plus cette exitation de la première découverte. Néanmoins je ne me lasse pas du désert. Chaque rencontre avec lui est un moment étonnant toujours plus riche chaque année.

Je me souviens à la lisière des dunes de ces belles femmes aux visages et grain de peau très fin, en train de caresser ces calebasses. Celle de droite en particulier. Les mains grasses des humeurs du chameau, elles polissent la matière, lui donnant un côté luisant, étanche, pour consommer ensuite d'autres liquides.

Les arbres comme l'acacia disparaissent pour la cuisine, le chauffage, ou d'autres ustenciles. Ses teintes foncés et claires dessinent des veines surprenantes sur la courbe des objets. Mais le bois n'est presque plus. Ces calebasses sont usées, anciennes, presque un souvenir d'un autre temps. Leurs contours sont émoussés par tant de lèvres. Hier encore des enfants goûtait le lait de chamelle grâce à elles.

Ce lait ne se conserve pas. Il ne caille pas. Peu nombreux sont ceux ayant réussi à en faire du fromage. Dés lors on se demande comment les nomades du désert pourraient le garder pour le consommer un peu plus tard...

Pas de poche, hormis les peaux pour l'eau. Bref pas de récipient. L'utile est ailleurs. La créativité prend le relais. Ce qui semblerait extravagant chez nous prend içi forme.

Vous ne pouvez pas conserver le lait ? Et bien jetez le. Par terre. Dans le sable. Malaxer le comme une pâte. Former presque un château de sable, une brique dense à ensuite faire sécher au soleil. Elle durcit. Devient cohérente, ferme et bien solide. Voilà c'est fait, le lait est conservé.

Demain, dans un mois ou six, il suffira de mettre cette brique dans la calebasse, de rajouter de l'eau. Le lait remplira la cavité et le sable tombera au fond. Avec une créativité inoui les Touaregs ont inventé le lait lyophilisé.

Je rapportais cinq calebasses de Mauritanie pour en offrir quelques-unes à mes proches.
Celle de gauche vient du Yemen. Je la trouvais un soir dans le fourbis d'un magasin de la capitale de Sanaa. Son grain, les couches de patine jettent un voile d'ombre sur le bois brut.
Elle fut réparée bien avant avec quelques nouveaux morceaux de peau en métal, faisant penser à cette exposition au Musée du Quai Branly sur ces objets d'hier, rafistolés pour démarrer une nouvelle vie.

jeudi 26 juillet 2007

Yemen : trône de la Reine de Saba

Ces amis ne rêvaient pas du Yemen. Cette terre semblait ingrate au sud de l'Arabie Saoudite. Image du désert, de la désolation, du fondamentalisme. Difficile de les convaincre de l'intérêt des lieux. De la grande diversité des paysages, de l'Océan Indien, aux hauts plateaux vers les 3000 des massifs, cultivés comme dans la lointaine Chine.

Après des périples aux proche Orient, le Yemen était un peu comme une étape dans ces parcours initiatiques, à la recherche de nos origines. La Grande Histoire de l'humanité, ces pays étapes des grandes migrations de l'Homme moderne.

Pour moi c'était également comme un retour aux sources. Ces odeurs, cette musique des marchés, le bruisement subtile des villes...
A l'âge de 6 mois j'habitais Alger pour une année et dans chaque pays traversé ensuite dés l'âge de 20 ans, en Turquie, en Irak, ... jusqu'en Libye je retrouvais sans doute "un chant des sirènes" de cet Orient si proche, si intime.

Le Yemen, préservé, si diversifié, accueillant, développait les plus anciens mythes fondateurs, en rencontrant les sources de la Myrrhe et de l'Encens. L'émotion fut forte, intense à Marib, ancienne capitale de l'épouse du Roi Salomon. Le temple au dieu soleil Bilqis était peu accessible en raison des fouilles. Mais ensemble face aux caractères cabalistiques, nous rêvions, seuls touristes dans ce pays, de ces symboles passés du trône de la Reine de Saba.

lundi 23 juillet 2007

Ils surgissent des mers : les restes des anciens


Tiens une devinette. Oui, j'ai toujours aimé les devinettes. Qui aiguisent la curiosité, mettent sur une piste. Amorçent un raisonnement. Tissent un lien avec d'autres univers. Servent de prétexte à une histoire. Bref, tout sauf les devinettes toutes simples. Qui laissent un peu troublé de ne pas avoir trouvé avant qu'on vous le dise. Et là, comme pour passer l'éponge, vous vous en sortez avec une pirouette : mais oui c'est évident. Et hop elle sont aussitôt oubliées comme un mauvais souvenir.

Revenons donc à cette devinette.
A quoi pourraient bien vous faire penser ces 4 objets posés sur le sol ?
Ah s'il n'y avait pas cette drôle de forme sur la gauche, un peu rugeuse je pencherais bien pour des troncs d'arbre, des branches calcinées ou des morceaux de bois flottés. Mais non, cela ne doit pas être cela...

Je sens bien que cette forme est la clef de l'énigme. Ces stries plates me font bien penser à quelque chose... J'y suis. La tête d'un monton rongée par les loups sur les routes de transhumance des Alpes et de ses quelques dents éparpillées. Elles étaient toutes petites mais elles avaient pour une partie les mêmes lignes dessinées sur la dentine.

Mais la taille ici n'a rien à voir. Il s'agirait donc d'un ruminent de plus grande taille ? Sans doute. Surtout si cette forme fait 18 cm de long. Une vache ? Ce n'est pas possible. Cela serait encore beaucoup trop grand.

Je vous donne un indice. Il s'agit d'un animal disparu il y a quelques milliers d'années. Il a croisé l'homme moderne et orne comme une icône les livres sur le Préhistoire.
Certains l'appelaient le roi des steppes du nord.
Un immense mammifère, populaire en plus. Avec une telle dent. Et des bois qui pourraient bien être de l'ivoire abîmée. Voilà j'y suis...

C'est le grand Mammouth !

Une discussion s'enchaîne dans le salon. Mais où as-tu trouvé cela ? En Sibérie ? Le commerce de l'ivoire est interdit. Oui mais celui du Mammouth n'est pas soumis à cette loi. De toute façon il est impropre au travail, trop friable et fragile comme pour ces morceaux.

Mais d'où viennent-ils donc ? Oh de pas si loin, à côté de chez nous. En Europe. Sur les plages de Hollande. Certains ramassent les coquillages, d'autres les os de Mammouths. D'ailleurs certaines de leurs plages s'appellent Mammouth bay. Tu blagues ! Comment cela serait possible ?

Et bien il y a à peu près 35 000 ans, la Mer du Nord n'existait pas. A la place les hommes des lieux pouvaient observer d'immenses plaines à perte de vue dont les hautes herbes et arbustes régalaient le mastodonte.

Déjà hier, le rechauffement climatique entraîna la montée des eaux. Les animaux se réfugièrent sur les hauteurs. Des ilôts qui communiquaient entre eux. Puis furent isolés. Et définitivement recouverts noyant les derniers survivants. D'autres animaux échapèrent à ce déluge mais des légions furent piégées par les eaux.

Aujourd'hui les tempêtes rejettent ces trésors d'histoire sur les plages.
Moins poétique, les chalutiers dragueurs raclent le fond des mers et emportent dans leurs filets tout ce qui reste dont les os des anciens.

Un spécialiste sur eBay revend d'ailleurs une partie des achats effectués chez les pêcheurs de la Mer du Nord : Nord Sea Fossils.

Et de prendre en main ce morceau d'ivoire de 8 kg et de rêver au maître des steppes...

mardi 17 juillet 2007

Irak : en rêve la Tour de Babel

Entre les deux guerres du Golfe, il y a 10 ans nous étions de passage en Irak avec 40 jeunes pour rencontrer les communautés chrétiennes Chaldéennes du pays, leur apporter notre soutien et près d’une tonne de médicaments en pleine pénurie.

C’était une goutte d’eau dans un océan de misère.
Nous avions tous été impressionnés par la richesse des rencontres, l’accueil très chaleureux des communautés à Mossoul, la découverte d’une culture si différente avec toutefois des ponts très étroits entre nos histoires.

Tous ces vestiges chahutés par les bombes… Tous ces sourires illuminant les visages émaciés des enfants, que sont-ils devenus aujourd’hui… Toutes ces images et discussions avec ces populations abandonnées nous marqueront à jamais.

Nous avions l’occasion avec un visa VIP de traverser l’ensemble du pays jusqu’au Kurdistan, zone interdite aux Irakiens.
Près de Babylone, nous passons près de la ville de Samarra et de l’incontournable mosquée d'al-Mutawakkil et de son minaret hélicoïdal de 52 mètres de haut, édifié vers l’année 850 par le calife Jafar al-Mutawakkil.


Nous montons à son sommet. Des chevaux ou mulets pourraient grimper sans problème ces larges marches. Tout en haut la vue est extraordinaire sur le contour imposant des murs de la mosquée.
Et seul face au ciel nous rêvons à la Tour de Babel. Elle est ronde dans notre imaginaire occidental, sans doute à cause des grands voyageurs du Moyen Age qui furent frappés par ce minaret, et de là elle a servi d’illustration à toute iconographie lié au mythe de Babel.

Mais cette illustre tour avait une toute autre forme. Carrée, comme le phare d’Alexandrie, comme les ziggourats visibles à Ur ou à Babylone, dont il faut l’avouer, ne reste aujourd’hui que quelques moignon de briques crues. Tous très émouvants, la paille entre les couches ayant plusieurs milliers d’années. Quand l’éphémère flirte avec l’éternité !

mercredi 11 juillet 2007

Peintres de Maningrida entre Innovation et rupture

Ecorce de Kay Lindjuwanga, Maningrida ©.
© Collection privée Brocard-Estrangin
Cette écorce peinte par Kay Lindjuwanga, épouse de John Mawurndjul me fascine par le mouvement que les rayures (Rarrk) introduisent sur cette oeuvre.

Avec cette combinaison unique d'ocre, de jaune, blanc et noir, tel un tartan écossais, la famille de John imprime sa marque, et révolutionne les codes de la région de Maningrida.

Nous sommes face à une rupture, digne des grands maîtres qui réinventent un art traditionnel. Une façon nouvelle de peindre. Presque une école de peinture tant John enseigne depuis quelque années ces nouvelles techniques à sa famille dont comme içi sa femme Kay.

Les Rarrk restent mystérieux et représentent sur cette oeuvre le pouvoir Mardayin associé aux plantes des marais. Lors des cérémoies ils sont peints sur le corps des initiés.

Sur cette écorce le bord noir représente la limite virtuelle du corps avec au coeur de la peinture de nouvelles nuances pour éviter de révéler les motif secrets au public.

Le jeu circulaire au centre suggère les lumières bleues luisantes (dangarrk) dans l'eau des marais, et des associations avec les bulbes du nénuphars. Dans la cérémonie du Mardayin, les cercles peuvent également représenter les sources d'eau douce avec un mouvement profond qui pousse à partir d'un rocher central l'eau vers le haut, accompagné par la force du rêve du Corbeau.

J'aime beaucoup cette oeuvre, sa dynamique, son caractère inventif, innovant et le grand moderniste d'une peinture aux limites de l'abstraction avec toutefois une grande force spirituelle. Elle répond en écho à une autre oeuvre de John Mawurndjul déjà présentée sur le blog et à cette autre écorce de Kay dans le même esprit.

Plus d'informations :
- Maningrida art community
- "Crossing Country : the alchemy of the western Arnhem Land Art".
- "Au centre de la terre d'Arnhem : entre mythe et réalité", Juin 2001


Photo with courtesy of Maningrida art

Art aborigène : artistes de Bidyadanga à découvrir


Quelques sujets marquants cette semaine. Surfant sur le web pour développer mon regard critique sur l'art aborigène, rechercher d'éventuelles toiles, de nouveaux talents, je suis tombé sur un article fort intéressant du Financial Times : "Tribal Landscapes" du 7 juillet dernier.

Il met l'accent sur la reconnaissance de l'art aborigène de plus en plus marquée dans le monde avec un intérêt soutenu des collectionneurs dans le domaine privé ou public. Le journal évoque également quelques records de ventes aux enchères toujours impressionants...

Et surtout ils mettent l'accent sur la communauté "Bidyadanga", où émergent de jeunes artistes aux talents extraordinaires comme Daniel Walbidi.

J'en discutais en début d'année avec une spécialiste d'art aborigène (collection SAM BARRY), dont une partie de la collection avait été vendue chez Sotheby's il y a quelques temps.

Elle venait juste d'acheter deux toiles, dont certaines majeures par leur taille et la qualité des motifs, autour de combinaisons bleutées, vertes, rouges, soulignant la richesse des effets de l'océan et des fleurs bien présents sur les terres où la tribut a trouvé aujourd'hui refuge.

Le prix des tableaux de cet artiste ne cesse de croître bien malheureusement pour nos budgets.

Je reviendrai là-dessus dans de prochains posts.

mardi 3 juillet 2007

Peinture de Joseph Jurra Tjapaljarri : du Tingari aux racines sinueuses de Yunala

Joseph Jurra Tjapaljarri de la communauté de Papunya (langage Pintupi), souligne dans cette peinture une association très élaborée autour du cycle Tingari.
L'oeuvre décrit la crique et le trou dans la roche autour du site de Yunala, à l'ouest de la communauté de Kiwirrkura.

Les délicates et sinueuses lignes dans ce travail représentent le système racinaire des tubercules comestibles de Yunala, qui grandissent connectée à la sources d'eau principale dans ce lieu.

Dans les temps ancestraux, un grand groupe de femmes a campé sur ce site, collectant les racines des tubercules, substance nourrissante s'il en est, avant de s'engager dans un long périple au Nord-est du Lac Mackay. La marche y est rythmée par des chants et rituels sacrés dont le caractère secret éclipse le mythe des cycles Tingari.

La photo de cette oeuvre de Joseph Jurra Tjapaljarri est présentée sur le blog avec la ‘Courtesy of Papunya Tula Artists Pty Ltd’.