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lundi 15 décembre 2008

L'art aborigène : meilleur vecteur de savoir dans le temps ?


Richard Yukenbarri Tjakamarra ©, with the courtesy of Papunya Tula artists.
150 x 120 cm. Collection privée.

Au centre de ce salon, encadré par ces peintures de Maningrida, se trouve une toile peinte de la communauté de Papunya, située au coeur du bush australien. L'artiste Richard Yukenbarri Tjakamarra, star montante, y représente une version du fécond et sacré cycle Tingari déjà présenté ici sur le blog.

Ces toiles attirent l'oeil, me captivent. Certains jours, je reste assis là devant elles et contemple le travail de l'artiste. Des amis me parlaient de leurs expériences esthétiques, face à des tableaux dans des musées. Certains restent assis près de 45 mn face à une oeuvre, s'invite à l'intérieur, redécouvre le geste de son inventeur, se laisse gagner par une harmonie ou un message. Cela ne m'arrivait pas encore. Je restais un zappeur, ému, attentif, mais contemplant rapidement un tableau. Après quelques années de collection, je découvre cette nouvelle façon d'habiter la toile également, d'expérimenter dans le temps, la contemplation l'ensemble de l'oeuvre comme dans le plus infime détail. Cet état contemplatif s'avère étrange et nouricié.

Il est assez fascinant d'imaginer que le dessin d'une oeuvre aborigène, sa complexité, transmettent un savoir, avec un succès inégalé par rapport à l'écriture. Personne ne se souvient du sens des peintures de Lascaux. Inversement, les aborigènes encore aujourd'hui, savent expliquer certaines peintures des grottes, même posées sur les parois il y a plus de 25 000 ans.

Cela questionne en partie mon métier autour du Knowledge Management quant aux meilleurs vecteurs de savoir. L'écriture cautionne le facteur d'oubli de l'être humain. Couché sur le papier, dans un agenda, un texte, un RDV s'émousse dans la mémoire individuelle puis collective.

Finalement l'écriture a combien d'années d'existence ? 4000, 5000 ans ? Guère plus... Un des plus anciens livres ou plaques d'argile, l'Epopée de Gilgamesh, reprend l'histoire d'un déluge. Bien avant la Bible, ce fut la première trace écrite de ce traumatisme dans l'histoire humaine.

Au moment de l'émergence de l'écriture certains voient un grand big-bang. Presque le début de l'histoire humaine. Avec une sorte de mépris, ou de condescendance, d'autres considèrent inversement la Préhistoire. Il y avait pourtant en ce temps-là de grands intellectuels ignorés.
Les mythes fondateurs de l'humanité présidaient, construisaient nos consciences bien avant l'émergence de l'écriture. Imaginez que l'histoire d'un déluge existe également dans l'histoire et l'art aborigène, il remonte à plus de 15 000 ans ou plus.

Dès lors je m'interroge sur la pérennité de la transmission du savoir. Quel support, quelle méthode pédagogique devrions-nous inventer pour le véhiculer sur des milliers de générations ? Face à un monde de l'édition, qui n'a jamais édité autant de livres, comment sélectionner le bon grain de l'ivraie... Les expériences comme Wikipédia restent enthousiasmantes dans une conjugaison de savoirs collectifs. À l’inverse les pistes chantées aborigènes, véritable "songlines", terreaux de transmission, persistent et résistent à des millénaires d'expérimentation...

mercredi 11 juillet 2007

Peintres de Maningrida entre Innovation et rupture

Ecorce de Kay Lindjuwanga, Maningrida ©.
© Collection privée Brocard-Estrangin
Cette écorce peinte par Kay Lindjuwanga, épouse de John Mawurndjul me fascine par le mouvement que les rayures (Rarrk) introduisent sur cette oeuvre.

Avec cette combinaison unique d'ocre, de jaune, blanc et noir, tel un tartan écossais, la famille de John imprime sa marque, et révolutionne les codes de la région de Maningrida.

Nous sommes face à une rupture, digne des grands maîtres qui réinventent un art traditionnel. Une façon nouvelle de peindre. Presque une école de peinture tant John enseigne depuis quelque années ces nouvelles techniques à sa famille dont comme içi sa femme Kay.

Les Rarrk restent mystérieux et représentent sur cette oeuvre le pouvoir Mardayin associé aux plantes des marais. Lors des cérémoies ils sont peints sur le corps des initiés.

Sur cette écorce le bord noir représente la limite virtuelle du corps avec au coeur de la peinture de nouvelles nuances pour éviter de révéler les motif secrets au public.

Le jeu circulaire au centre suggère les lumières bleues luisantes (dangarrk) dans l'eau des marais, et des associations avec les bulbes du nénuphars. Dans la cérémonie du Mardayin, les cercles peuvent également représenter les sources d'eau douce avec un mouvement profond qui pousse à partir d'un rocher central l'eau vers le haut, accompagné par la force du rêve du Corbeau.

J'aime beaucoup cette oeuvre, sa dynamique, son caractère inventif, innovant et le grand moderniste d'une peinture aux limites de l'abstraction avec toutefois une grande force spirituelle. Elle répond en écho à une autre oeuvre de John Mawurndjul déjà présentée sur le blog et à cette autre écorce de Kay dans le même esprit.

Plus d'informations :
- Maningrida art community
- "Crossing Country : the alchemy of the western Arnhem Land Art".
- "Au centre de la terre d'Arnhem : entre mythe et réalité", Juin 2001


Photo with courtesy of Maningrida art

dimanche 4 février 2007

L'esprit Mimih de John Mawurndjul

Du haut de son un mètre trente, l'esprit Mimih vous accueille, les deux bras suggérés d'une incision latérale, d'un souffle de vie s'échappant de sa bouche arrondie.

Le dessin hachuré, au nom énigmatique de rarrk, se nourrit des couleurs naturelles de la terre d'Arnhem. Enigmatique, cet enchaînement de croisillons souligne les ondulations du corps. Comme un tissage, d'alternances subtiles, codifiées de noir, rouge, orange, les lignes révèlent la signature du clan de l'artiste John Mawunrdjul.

En écho, à quelques pas dans le salon, répond une écorce peinte "bark painting" du même artiste. Au fil des années, l'oeuvre de John Mawurndjul devint abstraite jouant de combinaisons de plus en plus audacieuses et innovantes.

Ses créations contemporaines séduisent de part le monde, comme au coeur du projet architectural du Musée du Quai Branly à Paris, avec le plafond peint de la librairie et une immense colonne ou "hollow log" au tracé complexe et d'une rare finesse.

L'artiste, nomade dans ses jeunes années, n'a rencontré l'homme blanc que plus tardivement. Il se présente volontiers comme un alchimiste, grand témoin des rites, les suggérant bien plus qu'il ne les révèle, tant cela est sacré pour sa communauté Kuninjku.

Au pied de l'esprit Mimih, quelques témoins du néolithique d'un autre continent, avec deux meules portatives collectées dans l'Akkakus, et un biface en silexite du paléolithique, posés sur une malle de voyage du XIXe siècle.

Pour en savoir plus :
L'ouvrage sur l'exposition "crossing country the alchemy of western Arnhem Land" à la Art gallery of New South Wales.

jeudi 18 janvier 2007

Maningrida : Rêve du Serpent Arc en Ciel

© John Mawurndjul, Maningrida.
© Collection privée Brocard-Estrangin

Ce soir, j'aimerais vous présenter un immense artiste. En tous les cas très médiatisé en ce moment. Au coeur du projet du quai Branly : le grand John Mawurndjul. Un sage aborigène de la communauté de Maningrida qui a également réalisé la colonne peinte et le plafond de la librairie du musée du Quai Branly, rue de l'université à Paris. Et fut reçu il y a peu de temps par Jacques Chirac à l'Elysée.

Cette écorce d'Eucalyptus peinte reprend le grand Rêve du serpent Arc en Ciel. Les motifs sont simples et croisés. Le mouvement subtil et modéré. Le centre comme un point de fuite représente le trou d'eau, au coeur de toute vie, grâce auquel tout est possible dans le Bush. Discrètement au sein de celui-ci se love le serpent Arc en Ciel, au plus profond de cette source de vie, invisible mais toujours présent pour l'éternité.

L'enchevêtrement des hachures ou Raark, selon quatre couleurs rituelles : ocre, noir, blanc, orange; à l'image des tartans écossais, représente la "famille de peau" de l'artiste. Ces combinaisons suggèrent le lieu, les marécages et chemins conduisant à la source. Un parcours presque initiatique pour retrouver le lieu. La grande finesse dans les traits souligne la maîtrise du geste, de la brindille courbée, sous la pression du peintre, dessinant la complexité et l'harmonie du monde.

La peinture n'est plus simple image, toile plate, mais devient par l'écorce véritable objet, au relief marqué, aux vibrations végétales. Nous sommes aux frontières de la sculpture. Le grain de la matière renvoit aux anciennes cavernes ornées de peintures rituelles. Rien n'est parfait. Les volumes, les creux, les veines de la surface invitent l'artiste à introduire les innatendus de mère nature dans la subtilité de la composition, en donnant le maximum d'effets, en rebond.

Au pied de la peinture se retrouve un Shaman inuit en pierre de savon des années 40. Un peu plus bas, une belle meule portative collectée dans le désert Libyen, avec un grain et une douceur des formes envoutante. Plus en retrait, un petit rouleau de savon de Marseille symbolise les couches de savon épaisses, découpées sur le sol en pain multiples. Aujourd'hui, l'artisanat des savons de Marseille est un peu derrière nous mais vous pouvez retrouver le même esprit en Syrie avec les savons d'Alep.

Références : Shortstgallery, en Australie.