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mercredi 8 juillet 2009

Changer son regard, ouvrir son âme...



Lunettes Inuit en os à demi-fossilisé
© Collection privée Brocard II

Certains vous diront de temps à autres, vous avez un vrai regard. Le regard d'un artiste. Le regard d'un collectionneur, celui d'un esthète... C'est étrange comme formule. Un peu comme s'il existait de faux regards.

Je vois, j'observe, je focalise. Un regard s'avère la prolongation d'une action biologique, passivement. Et c'est déjà pas mal. Dans le miroitement des yeux, tout y défile, du plus beau au plus médiocre. Il y a des regards éteints, d'autres qui brillent d'une passion dévorante... Mais existe-t-il un "vrai regard" ?

S'agit-il de la capacité de s'arrêter face à face sur une œuvre plutôt qu'une autre, de façon un peu aléatoire ? De la sélectionner un peu au hasard des rencontres, des vernissages, où le choix est d'ailleurs également opéré en amont par d'autres; dans une sorte de conjugaison des regards, du conseiller scientifique à l'acheteur éventuel. Cette concaténation des regards évite sans doute des erreurs d'appréciation. Mais elle introduit un semblant de pensée unique, des modes, une seul vision très, trop partagée, des choix à effectuer ou non dans une collection.

Je comprends la jalousie de certains artistes aborigènes. Ils ne perçoivent pas toujours ces tendances du marché, ce qui peut sous-tendre une sélection. En effet pourquoi tout à coup tel artiste est-il porté au pinacle, en vertu de quels critères objectifs, par quelle entremise ?

Par l'expression "vrai regard", s'agit-il plutôt de la reconnaissance d'un regard curieux, exigeant, avide de découvertes et ne se reposant qu'en de rares occasions sur un objet pour mieux le rencontrer, l'appréhender dans toutes ses dimensions, puis le mettre de côté... dans une sorte de quête sans fin ? Peut-être.

Un regard s'affûte très certainement, se développe, comme un nez en parfumerie ou en œnologie. Voir disparaître un grand créateur de parfum m'émeut toujours.
20, 30 ans furent nécessaires pour développer son organe à son paroxysme au niveau de l'épithélium nasal, comme des neurones associés. Puis tout disparaît sans transmission rapide possible sauf par l'apprentissage et l'empirisme. Qu'en est-il du regard d'un grand collectionneur ? Arrive-t-il toujours à traduire en mots là où son regard l'entraîne ? Pourrait-il lui aussi le transmettre ?

Il n'y a pas de doute de mon côté. Mon regard a changé. Au moment où je vous écris, je suis face à deux peintures très colorées déjà présentées sur le blog ici .
Eclairées par une petite lampe LED, leur relief est mis en valeur dans des jeux de teinte qui me réjouissent. Quelques années plus tôt, jamais je crois, je n'aurais eu l'audace d'acquérir des œuvres si vibrantes. J'avais un certain classicisme en tête, une retenue... C'est évolutif et différent aujourd'hui.

Ces petites lunettes Inuit en os à demi-fossilisé offrent un autre regard. Fragiles, abîmées, rongées par le sel, elles sont aussi uniques dans l'art nomade.
Dans tous les déserts où la lumière est si brûlante et éclatante, seuls les inuits inventèrent des lunettes pour voir et se protéger. Elles accomplissaient ce que leurs yeux pourtant magnifiquement bridés et plissés ne pouvaient qu'entamer.

Je les attends avec impatience. Elles symbolisent si bien entre neige et collection, ce regard perçant pour déceler dans l'immensité, cette nécessité de le protéger des éclats trop brillants, cet attachement à se focaliser sur l'essentiel : le "code génétique" d'un mouvement artistique.

Changer son regard, ouvrir son âme... Tout un programme.

mardi 7 octobre 2008

Emotion versus connaissance face aux objets néolithiques

Silex collectés au Sahara et en Israel. © Collection privée Brocard-Estrangin


Il est des êtres pour qui les objets parlent, évoquent, émeuvent. C'est le règne de l'émotion, du sensible, d'une intimité avec la matière.
Hier je ramassais ces objets dans les déserts du monde. Et ressentir... Glisser sa main dans le même mouvement que nos anciens. Trouver le geste qui façonna l'objet. Lire les lignes de la pierre. Deviner ces forces invisibles qui guidèrent le tailleur de pierre dans sa découpe. Sentir la frappe douce des éclats tranchants.

Aujourd'hui nous ré-inventons ces objet comme le disent les découvreurs de trésors... Un mot tellement magnifique. Inventer, ré-inventer. Comme si l'objet avait perdu son sens oublié par le temps, négligé par la conscience humaine. Comme si tout seul il n'était rien, sans la vision de sa finalité, de l'outil ultime. Une pierre, rien qu'une pierre. C'est bien probablement notre regard qui lui redonne vie, ouvre le champ de l'imaginaire, ré-insuffle son univers, la communauté, le clan tout autour.

D'un autre côté, la connaissance invite des questions dans l'appréhension de l'objet. Elle peut contribuer à le détacher d'un contact personnel, charnel avec lui. Il devient objet d'étude, scientifique. Il perd son lien avec son propriétaire d'hier et le nouveau d'aujourd'hui. Il est envisagé dans un contexte objectif où l'émotion s'éteint. Plus j'y avance, plus j'ai l'impression de souvent reculer, tellement la connaissance ouvre de nouveaux champs immenses.
Et pourtant il est de ces objets seuls, sans rattachement à quelque chose de connu sur l'instant. Leur usage semble ignoré et ils font le bonheur simple du collectionneur, dans leurs mystères, dans l'émotion qui préside à leur découverte.

L'émotion devient ainsi un passeport créatif et fertile pour leur donner vie. Elle est la nourriture de l'intuition du collectionneur. Elle devrait ainsi peut-être se garder de la connaissance, la précéder le plus longtemps possible pour aller à la recherche de l'objet brut, de ses contours, de sa résonnance intrinsèque, puis s'y abandonner pour rebondir enfin dans d'autres champs...