jeudi 18 janvier 2007

Du royaume de la Reine de Saba aux nomades Inuits


Quelque peu éreintés après douze jours de marche, nous atteignons une vallée suspendue en fin de journée. Les montagnards du Haut Atlas collectent quelques rares morceaux de bois pour se chauffer et cuire leurs repas. Le climat de plus en plus aride efface les derniers arbres. Une odeur pénétrante embaume l'air autour des bucherons éphémères. De quelques copeaux sur le sol se dédagent les effluves puissants du bois de cade. Seul arbre-arbuste qui résiste encore en ces lieux. J'en ramasse de multiples morceaux dans l'espoir de les glisser dans un flacon de verre une fois de retour à Paris. Le bouchon de liège soulevé, les yeux fermés, l'odeur ainsi préservée, je me retrouve un instant dans les pas du trek il y a déjà quelques années.

Dans le flacon juste à côté habite une autre histoire. Celle d'un périple magnifique avec des amis sur les routes de l'encens. Au coeur du royaume de la Reine de Saba. En plein Yemen unifié. Nous avons passé 21 jours sur place à découvrir les différents visages du pays. Les villages fortifiés des premiers résistants. Les "manhattan" avant les villes. Les cités fantômes de Moka et d'Aden. Le Yemen antique. L'Africain... Le pays flotte au dessus du temps et joue de ses facettes à chaque tournant.
Sur le marché, un vieillard au visage buriné, aveugle, porte haut sa sagesse. Il vend de l'encens. Le meilleur. Constitué de petits grains perlés allant de l'or à l'ambre foncé. J'en achète quelques livres pour garder la mémoire de cette odeur pimentée dans ce pôt en verre soufflé d'un autre temps.

Exporté dans toutes les Cours d'Europe, objet de toutes les attentions, le sucre de canne des contreforts de l'Atlas vivait de sa réputation. Il assura la richesse du Maroc sur le XVIIe et XVIIIe siècle finissant et les splendeurs des cités impériales. En descendant des montagnes, je trouvais un joli petit marteau en bois, ouvragé, destiné à casser les pains de sucre.
Il n'en reste plus beaucoup au Maroc. Celui-ci, disposé sur le coin de la table fut chiné en Europe.

Dans son habit de jade, emmitouflé, le chasseur affronte les éléments. Le regard souriant, ce père Inuit vient de nous croiser dans son désert blanc glacé. Ses deux mains, paumes ouvertes, invitent au dialogue. L'igloo n'est pas loin. Les soirées seront bientôt rythmées par les chants idéalisés des grandes chasses. La sculpture souligne d'autant sa présence dans l'anonymat de l'oeuvre.

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Maningrida : Rêve du Serpent Arc en Ciel

© John Mawurndjul, Maningrida.
© Collection privée Brocard-Estrangin

Ce soir, j'aimerais vous présenter un immense artiste. En tous les cas très médiatisé en ce moment. Au coeur du projet du quai Branly : le grand John Mawurndjul. Un sage aborigène de la communauté de Maningrida qui a également réalisé la colonne peinte et le plafond de la librairie du musée du Quai Branly, rue de l'université à Paris. Et fut reçu il y a peu de temps par Jacques Chirac à l'Elysée.

Cette écorce d'Eucalyptus peinte reprend le grand Rêve du serpent Arc en Ciel. Les motifs sont simples et croisés. Le mouvement subtil et modéré. Le centre comme un point de fuite représente le trou d'eau, au coeur de toute vie, grâce auquel tout est possible dans le Bush. Discrètement au sein de celui-ci se love le serpent Arc en Ciel, au plus profond de cette source de vie, invisible mais toujours présent pour l'éternité.

L'enchevêtrement des hachures ou Raark, selon quatre couleurs rituelles : ocre, noir, blanc, orange; à l'image des tartans écossais, représente la "famille de peau" de l'artiste. Ces combinaisons suggèrent le lieu, les marécages et chemins conduisant à la source. Un parcours presque initiatique pour retrouver le lieu. La grande finesse dans les traits souligne la maîtrise du geste, de la brindille courbée, sous la pression du peintre, dessinant la complexité et l'harmonie du monde.

La peinture n'est plus simple image, toile plate, mais devient par l'écorce véritable objet, au relief marqué, aux vibrations végétales. Nous sommes aux frontières de la sculpture. Le grain de la matière renvoit aux anciennes cavernes ornées de peintures rituelles. Rien n'est parfait. Les volumes, les creux, les veines de la surface invitent l'artiste à introduire les innatendus de mère nature dans la subtilité de la composition, en donnant le maximum d'effets, en rebond.

Au pied de la peinture se retrouve un Shaman inuit en pierre de savon des années 40. Un peu plus bas, une belle meule portative collectée dans le désert Libyen, avec un grain et une douceur des formes envoutante. Plus en retrait, un petit rouleau de savon de Marseille symbolise les couches de savon épaisses, découpées sur le sol en pain multiples. Aujourd'hui, l'artisanat des savons de Marseille est un peu derrière nous mais vous pouvez retrouver le même esprit en Syrie avec les savons d'Alep.

Références : Shortstgallery, en Australie.

mardi 16 janvier 2007

Ils jonglent avec l'histoire

Différents objets s'amusent à jongler avec l'histoire sur des distances considérables. Au centre deux oeufs de Dinosaure fossilisés, vétérants des lieux affichent avec fierté leur 65 millions d'années. Le pôt de miel en peau d'antilope thermoformé singe bien involontairement la coupe du monde foot. Simplicité et force symbolique des formes. A une extrémité, une tête Gandhara en schiste tisse un lien avec les épopées du Grand Alexandre. A l'autre une petite tête de Boudha en bronze souligne la finesse des oeuvres de Thaïlande au XVIIe siècle et s'amuserait volontiers à saisir le couvre chef russe composé de fil d'or et d'argent de la même époque.

Un casse tête en pierre, originaire du Sahara souligne la "crudité" des conflits aux confins du néolithique et provoque les multiples bouteilles d'absolu de parfum de la parfumerie Roure, symboles d'un raffinement plus inaccessible.

Une écorce peinte de la communauté de Maningrida aiguisse l'appétit. L'artiste Samuel Namundja y représente un poisson dans le plus pur style rayon X. L'animal se retrouve dans son plus simple appareil, arrêtes et chair bien distinguées grâce aux fines rayures. Il s'agit en fait d'une oeuvre pédagogique, soulignant les parties comestibles du poisson et la façon la plus habile de le découper. Un met de choix dans la salle à manger.

Encadrée par deux armes rituelles de Papouasie Nouvelle Guinée, la peinture souligne les matières des voisins : bois sculpté, tissage d'herbe, hâches polies dans la profondeur du jade.
Une monnaie composée d'une large coquille nacrée de Tridacna géant fossile semble soutenir de son anneau l'arme d'un autre temps. Les objets dialoguent entre eux. Tissent des liens. Jouent des correspondances. Cet espace suspendu vous invite à traverser les continents.

dimanche 14 janvier 2007

Le Rêve du Lézard Diable : Kathleen Petyarre

Rêve du Lézard Diable par Kathleen Petyarre ©, Utopia.
Collection privée BROCARD II.

Une oeuvre de Kathleen Petyarre dans le dernier style de l'artiste, d'un format de 137 x 137 cm. Cette composition avait été commanditée à la Galerie Australis sur le thème du rêve du lézard diable de la montagne (Mountain Devil Lizard Dreaming). Le travail accompli par l'artiste est assez marquant si l'on considère la combinaison des points posés un par un sur la toile, avec des effets de volume et de mouvement donnant un équilibre esthétique d'une grande modernité.

Ce rêve s'avère un des mythes privilégiés de Kathleen où sur la peinture les lieux prennent vie de façon complexe. Je parcourais il y a peu un ouvrage consacré à cette immense peintre du bush australien*. L'occasion de comprendre enfin la signification de certaines peintures et en particulier de ce Rêve du Lézard Diable. Quelques explications sur ce parcours initiatique, où certains details juste suggérés, méritent toute votre attention.

Direction le centre de la toile. A l'intersection des deux lignes croisées se trouvent un carré. La partie gauche de ce carré représente l'espace dédié aux rites des femmes (Women's business area). Tandis que la partie droite, haute et basse du carré représente quant à elles le lieu consacré à l'initiation des hommes.

En haut à droite du tableau sur la ligne finissant, se retrouve une femme âgée de la communauté Arnkerrth, accomplissant sa dance solitaire le long de ce chemin du Rêve. Un périple parmi les multiples qui existent en Australie, où la terre est cartographiée, maillée par de mutiples chemins chantés.

La même diagonale en bas à gauche du tableau représente the "Yam Dreaming". Un Rêve fertile de la défunte peintre Emily Kame Kngwarreye's dont Kathleen a hérité les droits, sorte de copyright transmis de génération en génération et permettant de perpétuer les Rêves. Sur ce chemin, ce Rêve se combine par ailleurs avec le pays d'Alhalker et plus loin celui du Rêve du Dingo.

Sur la deuxième diagonale, en haut à gauche, dans la partie plus sombre, comme un ciel étoilé, dans cette "langue" partant du centre du tableau, se retrouve l'important Rêve du Rockhole, primordial dans le pays pour les Arnkerrth, hérité du père et du grand père de Kathleen.

Toujours en suivant cette diagonale mais dans la partie en bas à droite du tableau, se retrouvent de nombreux hommes marchant en direction de Tennant Creek dans les pas du Rêve de l'Emu.

Le tableau prend vie. L'homme est omniprésent mais invisible. Comme effacé dans le respect de la nature, dans une sorte de communion avec elle.

La communauté d'Utopia respecte profondément Katleen Petyarre comme un grand maître, propriétaire de différents Rêves, et responsable de différents rites sacrés. Le monde de la peinture reconnait également en Kathleen une immense artiste. Ses oeuvres figurent dans de nombreuses collections à travers le monde.

(*) Genius of the place, Kathleen Petyarre, essays by Christine Nicholls and Ian North

samedi 13 janvier 2007

Lancement d'un nouveau blog : Brocard et le monde des parfums

Aujourd'hui je viens de lancer un nouveau blog. L'occasion d'évoquer l'histoire d'une partie de la famille durant la révolution industrielle, au coeur de la Russie dans le monde des parfums. L'aventure des Brocard.

L'usine fut fondée par Henri Brocard en 1864 à Moscou dans un garage. Start-up d'hier et d'aujourd'hui, l'entreprise prendra une ampleur considérable sur un siècle et introduirea différentes revolutions dans le monde des essences.

Un blog à découvrir : http://parfum-brocard.blogspot.com/

vendredi 12 janvier 2007

Tambour d'Ambrym : Vanuatu

Bienvenu pour un petit voyage à travers le temps et les cultures. L'entrée donne le ton avec un imposant tambour de l'île d'Ambrym, en haut de l'escalier. La tête est délimitée par une dentelure de cheveux sculptés, et se termine par la fente suggérant la bouche et la fin du visage dans ce style unique des archipels de Vanuatu.

De son côté, le nez percé indique le chemin à l'âme du défunt qui quitte ainsi son envelope charnelle par les narines.

Les tambours sont situés en dehors du hameau, dans un lieu respecté et sacré. Les sons émis se transmettent de village en village et soulignent la voix de l'ancètre. Toute la communauté ne connaît pas la "traduction" de la mélodie.

Plus loin dans le salon se distingue une peinture aborigène de Lily Karedada et quelques témoignages de Papouasie, objets d'un autre message. Sur la gauche, juste esquissée dans la lumière, une écorce peinte de Maningrida méritera plus d'attention une prochaine fois.

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Collection privée BROCARD II.

mercredi 10 janvier 2007

Transhumance : un monde nomade

" Il faut aller au-dessus des nuages pour trouver du boulot". Depuis cinq jours il n'avait croisé personne dans les Alpes. Son troupeau se trouvait à deux heures de marche sur les pentes. A grignoter l'herbe grasse avant l'arrivée des première neiges mi août.

Anes, patous, chèvres, moutons, la grande famille de la transhumance accueillait en chemin, faisant la fête aux hommes de passage. Dans la solitude des sommets. Juste chahutée par quelques loups.
Il y a quelques jours, l'homme recevait un fusil pour lutter contre eux. La nuit précédente, l'âne sentit la bête, sonnant l'alarme. Pour l'effrayer il avait tiré.

Le berger changera bientôt de versant. Du haut vers le bas, comme un peigne, le troupeau grignotera la montagne. Les chèvres gardent la mémoire du chemin et guident les moutons de leur bourdons. De l'adret à l'ubac, les chiens les rassemblent et taquinent les jarets.

L'année prochaine il reviendra, comme les anciens avant lui. La transhumance habite toujours les lieux. Donne vie aux parois minérales. Rythme le temps. Discute avec notre histoire du chant de leurs cloches. Il y a comme une fascination rassurante dans ces cycles renouvelés, immuables. Si proches et presque oubliés au coeur des Alpes.

lundi 8 janvier 2007

Envol des bouquets

Jeu de correspondances avec les terres d'Arnhem, au nord de l'Australie. Vibrations des jaunes, blancs et ocres, ourlés de noir. Comme les ondes de la houle, alternées. Volatiles et crustacés s'y impriment.
Aux antipodes, cette écorce peinte m'évoque des parties de pêche dans l'Atlantique.

Charente-Maritime
un été.
La ligne de courant touche la côte. Le calme avant l'étal. J'attends l'instant propice pour pêcher. Des heures sans compter. Presque supersticieux face aux caprices de la grande bleu.

Le vent grignote les roches. Formant des ilôts. Presque des navires amarrés. Un espace d'évasion. Retrouvé chaque année. Changeant et si familier.

La marée haute submerge les creux. Les crevettes accompagnent le courant. Découvrent les appats. Les tacots s'offrent à leurs pinces gourmandes. D'un coup de fourchat se retrouvent plaquées sur le filet. Dix mètres plus haut percent la surface pour être attrapées.

vendredi 5 janvier 2007

Touareg, noblesse d'un peuple abandonné

Fin du jour après huit heures de marche en Libye. Le groupe devient vaisseau des sables. Rythme régulier. Silence partagé. Entre bleu glacé et grain safrané.

Le sable cache à peine ses richesses. Aux creux des dunes, sur les crètes des wadis, l'homme nomade a ponctué son passage.

La pensée a transformé la pierre. La finalité commande la confection. Le silex taillé apparaît et se transforme sur des milliers d'années. Les meules polies sont emportées en tous lieux. Elles offrent au passant leur peau douce, la mémoire du geste et terminent l'immense cycle de nos premiers outils.

Derrière la dune se trouve le lieu du campement. Notre ami touareg nous attend marquant le lieu de son baton. Comme un ancrage dans cette mer ambrée.
Il ne nous révèlera jamais totalement son visage, estompé par son chèche.
Son regard croisait à peine les nôtres. Il accepta juste cette photo éloignée. Dans l'effacement du paysage. Portée par ses éléments. Affirmant la noblesse d'un peuple "abandonné".

mardi 2 janvier 2007

Art Aborigène : découverte d'une peinture de Richard Yukenbarri Tjakamarra


Richard Yukenbarri Tjakamarra ©, with the courtesy of Papunya Tula artists.
Collection privée BROCARD II.

Un artiste de la seconde génération des peintres de Papunya Tula : Richard Yukenbarri Tjakamarra. Qualifié il y a peu par la gallerie Pizzi de "star montante" de la communauté.

Les effets visuels sont multiples. L'occidental non initié y verra sans doute une vue d'avion avec la symbolique de sommets, de vallées échancrées et la cartographie des courbes de niveaux. Avec un jeu d'ocre, de blanc crémeux, de combinaisons de courbes saisissantes révélant une grande harmonie de l'espace.

Ces peintures qui parlent, évoquent, suggèrent, jonglent avec les symboliques presque archaïques de notre humanité, invitent l'imagination de tout un chacun à plus de spontanéité.

La mythologie aborigène, jouant de ces rêves premiers, sacralisant l'espace et les évènements fondateurs, nourries et réinventés sur plus de 2000 générations, donne un élan particulier à cette oeuvre.

La peinture fait référence au trou d'eau dans la roche à l'ouest de Karliarngu. Symbole de vie par excellence dans le bush australien. Où il y a fort longtemps deux hommes Tingari récoltaient des fourmis à miel (honey ants). Avant de continuer leur voyage à l'est de Kiwirrkura et ensuite dans la direction du lac Mackay. Ces voyages primordiaux, connu sous le vocable de "cycle Tingari" restent secrets et structurent encore aujourd'hui de nombreux rites d'initiation.

Au delà de la forme picturale ils s'illustrent également en cycles de chanson sur les chemins du rêve du désert. Des mélopés traversent ainsi l'Australie et chantent l'harmonie du monde selon une mélodie continue, partagée de communautés en communautés, sur près de 5000 kilomètres.

La photo de cette oeuvre de Richard Yukenbarri Tjakamarra est présentée sur le blog avec la ‘Courtesy of Papunya Tula Artists Pty Ltd’.