dimanche 25 mars 2007

Elle chante en Syriaque... l'invention de l'écriture

© Collection privée BROCARD II.

Avant-hier, une femme orientale chantait à l'opéra en Syriaque. Cela faisait 10 ans que je n'avais pas entendu cette langue araméenne, presque fossile, dont les sonorités renvoient aux premiers âges du Christianisme. La dernière fois, je la percevais, résonnante, à l'occasion d'une célébration dans une église chaldéenne à Mossoul, grave, martelée par un prêtre au port hiératique. Le mystère des sonorités m'avait subjugué.

La voix pure de la chanteuse, presque un peu voilée, comme la pudeur de ce peuple irakien du nord qui souffre atrocement dans ce conflit larvé entre occident et orient, réveillait en moi le souvenir de ces amis croisés dans la patrie d'Abraham. Que sont-ils devenus aujourd'hui ? À travers ces deux conflits et cette guerre civile qui n'en finit pas ? Nous n'avions pas eu la possibilité d'entretenir les contacts. Mais leurs visages restent gravés dans nos mémoires, comme leur sourire dans ces intenses difficultés.

Syriaque, Araméen, Sumérien... Ces mots sonnent l'écho de notre propre histoire. De découvertes fantastiques. Inventions des cités. De l'écriture. Des religions... 50 siècles d'aventures humaines dans le chaudron Irakien. Qui vibrent dans la Cité de Babylone au bord de l'Euphrate. Les briques crues, cuites, portent les empreintes cunéiformes des grands bâtisseurs comme Nabuchodonosor. Un fragment de pierre rapporté de notre voyage en Irak, m'invitait quelques années plus tard à collecter des petites tablettes en argile auprès d'un collectionneur allemand. Les textes sumériens gravés dans la matière, patinés par le temps, aux sonorités oubliées, s'envolent rejoindre le chant en Syriaque d'hier et nos amis d'Irak aujourd'hui.

Pour en savoir plus :
Syriaque, Cunéiforme, naissance de l'écriture, Babylone

samedi 17 mars 2007

Néolithique : ils ouvrent les portes de la pierre polie


Collection privée BROCARD II.

Il y a 10 000 ans, un jeune démarrait avec sa boite à outil de silex. Avec elle il couvrait tous ses besoins, de la cuisine à la chasse. Certains outils se cassaient régulièrement et nécessitaient d'être renouvellés. D'autres traversaient les années curieusement épargnés. Les veines de la pierre, bien pensées dans la matière, esquivaient les multiples chocs et altérations potentielles.

D'outils anonymes, la hâche, le couteau, le grattoire, gagnaient leurs lettres de noblesse avec le temps. Ils avaient accompagné leur auteur tant d'années pour tanner les peaux, gratter, fendre le bois, qu'ils devenaient comme un compagnon rassurant, un peu fétiche.

A chaque usage il se couvrait d'une noble patine. Celle d'heures de peine, où la sueur mariait subtilement la graisse humaine à la terre environnante. Au fil des ans, les angles de l'outil s'émoussaient, livrant de moins en moins d'aspérités susceptibles de le fragiliser.
L'objet devenait de plus en plus précieux et ouvrait naturellement, sans s'en rendre compte les portes de la Pierre Polie.

Ces premiers objets traversèrent les générations, si solides, porteurs d'émotions, de la mémoire du père au fils. D'un polissage partiel hier, l'objet devenait de plus en plus lisse au cours des usages, révélant le grain particulier, les mouvements de la pierre, la douceur du toucher.

La révolution d'un regard changea sans doute la destination de l'objet. Un artiste décela dans la matière un terrain d'investigation, d'expression, de résonance spirituelle. La pierre en devenant polie perdait son sens premier. Les hâches grandirent pour devenir votives. D'outils hier, elles se transformaient en oeuvres d'art involontaires, invitant à de nouveaux savoir-faire et sensualités.La pierre n'a pas d'âge. Comme cette technique ancestrale. Elle se rencontre aujourd'hui encore sur les terres de Papouasie Nouvelle Guinée comme ces quelques exemplaires en diorite verte ou basalte. Hâches remarquables dont la taille s'échelonne entre 17 à 35 cm, et enchantent le regard comme l'histoire du geste.

P.S. : la photo du haut reprend quelques hâches collectées en France, au Sahara, sur deux ou trois générations.

mardi 13 mars 2007

Aboriginal art : peintures sur écorce de Yirrkala

© Yinimala Gumana, communautés de Yirrkala.
© Collection privée Brocard-Estrangin


Les peintures aborigènes sur écorce de la terre du Nord m'impressionnent par le choix des matériaux naturels : pigments, résines, et la peau de l'arbre travaillée. Le support reste imparfait et la peinture épouse habilement ses formes. Creux, aspérités se rencontrent au fil des signes et symboles nourrissant la "bark". Ils donnent du volume, un certain écho au message transmis par l'artiste sur ce support. Comme le poisson d'un aquarium vous ne pouvez bien souvent guère toucher une toile, aller à la rencontre de l'oeuvre autrement que par le regard. Ici avec l'écorce, la peinture prend d'autres dimensions et s'élève au rang d'objet, tutoyant presque le monde de la sculpture par ses formes. Dans l'espace l'oeuvre s'épanouit et offre encore d'autres vibrations.
Dans les territoires du Nord, la présence de forêts offre de magnifiques supports aux artistes, qui empruntent aux arbres leurs manteaux. Support éphémère hier, les écorces habitent aujourd'hui les musées et collections de particuliers. Recouvertes de couches invisibles de PVC, les pigments perdurent avec leur teinte originelle, tels qu'ils apparurent le jour des cérémonies. D'autres moins bien loties gardent une surface naturelle et les couleurs y évoluent avec le temps, s'y patinent, et rejoignent au fil des années la palette plus sépia offerte par la nature.

L'écorce ci-dessus est une oeuvre de l'artiste Yinimala Gumana des communautés de Yirrkala.
L'oeuvre ci-jointe fut réalisée par l'artiste Bandarr Wirrpanda du clan Dhudi Djapu.
Ces deux peintres tous les deux fort jeunes (naissance dans les années 80) laissent présager d'intéressants développements.
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lundi 12 mars 2007

Aboriginal art : le cycle des chants Tingari par Tony Tjakamarra

© Tony Tjakamarra, with courtesy of Papunya Tula Artists.© Collection privée Brocard-Estrangin


Retour à l'art aborigène après ce périple au Niger, pour vous présenter une oeuvre magnifique de la communauté de Papunya. L'artiste Tony Tjakamarra y représente le Rêve de l'Eau, dans les territoires Australiens tout autour du lac Mackay.
Il y a fort longtemps, à l'époque mythologique des Rêves, les hommes nomades Tingari entamèrent un long voyage au sud du site de Wilkinkarra. Ils étaient accompagnés par des novices, entonnant les cycles des chants tout au long de l'itinéraire, sur des milliers de kilomètres. La mélopée résonnait d'un bout à l'autre du pays traversant jusqu'à 80 langues différentes, aussi bien chantée par les femmes que par les hommes. Mais ces sonorités restaient reconnaissables par tous, comme appartenant à une mémoire partagée.
Certains évoquent aujourd'hui les capacités télépathiques du peuple aborigène, d'autres les codifications infiniment subtiles de ces intellectuels du désert pour expliquer cette continuité musicale.

A la fin du voyage les hommes organisèrent des cérémonies sur le site de Ngutjun, honorant les lieux, formant les plus jeunes.
Le cycle Tingari, transmis de générations en générations, garde toujours une grande partie de ses mystères pour les occidentaux profanes. Et il suscite des questions.

Autant nous avons chez nous, livres, revues, documents qui véhiculent notre savoir éphémère. Autant ils n'ont rien ou pas grand chose, si ce n'est cette culture orale, cette pensée élaborée, avec patience, dans le rythme, la pédagogie de la marche et des chants, éternellement répétés sur des milliers d'années. Sans l'écriture Platon ne serait plus. Avec l'écriture nous avons peut-être tout oublié.

La photo de cette oeuvre de Tony Tjakamarra est présentée sur le blog avec la ‘Courtesy of Papunya Tula Artists Pty Ltd’.

dimanche 11 mars 2007

NIGER : le corbeau et le chameau

Nous sommes un matin. Les chameaux sont posés sur le sol, harnachés des sacs et victuailles. Nos colis bien supérieurs, jours après jours au 12 kg recommandés, alourdis par les cailloux collectés, suscitent des mouvements de rébellion des bêtes. Trop lourd, trop anguleux, au parfum différent... ils grognent.

La pierre est ocre, à l'image de la planète Mars. Des acacias élancés, aux branches et troncs "rouge Hermés" étonnent. J'y passe la main caressant l'écorce duveteuse. Celle-ci se couvre d'une poussière carminée persistante. Me voilà "peau rouge". J'apprends que les Touarges font de même. Ils frottent les peaux nouvellement tannées pour les débarrasser des parasistes et leur donner cette teinte magnifique. Généreux le vêtement dépose ensuite sa couleur sur les épaules des coquettes et enchante le regard des hommes.

Dans cet oued, seul refuge pour le sable, alors que tout autour la pierre fait loi, les chameaux enfin se relèvent, libres de leur mouvement, pour grapiller quelques feuilles hautes perchées.
Volant de branches en branches, un corbeau se pose soudain sur la bosse de l'un deux. Le corbeau et le chameau. L'instant est étrange. Il nous regarde. Dans ses yeux nous avons l'impression de rencontrer le grand La Fontaine. Le corbeau se nourrit des insectes cachés dans la fourrure. D'une tique à l'autre, la fable prend corps.

Merci à Michel, Jocelyne et Bernadette pour les photos. :-)

dimanche 4 mars 2007

AGADEZ au Niger : les nombrils d'éléphant dans la maison du boulanger

La "Maison du Boulanger" mérite un détour dans le vieux Agadez. Si ce n'est le voyage à lui tout seul. Construite au tout début du siècle par de riches marchands fortunés elle appartient encore aujourd'hui aux descendants de la famille.

La bâtisse semble presque animale, comme habitée dans le modelée de la terre du désert. On reste troublé par ses murs scarifiés des mythes du peuple Touareg.

Sur la droite se trouve une alcove où le lit du maître était disposé. Aux intersections des croisements, se cachent dans les protubérances du mur les coquillages sacrés ou "nombrils d'éléphants", garantissant sécurité et sérénité au propriétaire des lieux.
Aujourd'hui, ils disparaissent, fruit de la rapine des hommes supersticieux qui creusent le mur et en feront des "gri-gri" à forte résonance.

A des centaines de kilomètres de là, sur le haut plateau de Bagzane, je trouvais deux beaux coquillages usés, vendus par une femme d'un certain âge. Patinés par un usage prolongé, remplis d'une résine énigmatique ils furent difficile à négocier. A haute valeur symbolique, rare sur une terre où la mer n'existe pas, la discussion dura un temps et ne fut pas sans rappeler ceux de la maison du Boulanger.