mardi 27 février 2007

NIGER : le chant des poulies dans l'Oasis de Timia

Dans ce plastique souple, rouge comme un nourrisson des premiers jours, remonte l'eau de la nappe phréatique située quelques 23 mètres plus bas. L'or bleu jaillit des entrailles du sol, aux rythmes réguliers des pas du chameau tirant la corde.
25 litres par 25 litres, tel un coeur qui palpite, l'eau sort de sa poche et offre la vie tout autour dans un savant jeu de rigoles organisées. Le jeune palmier offrira bientôt de l'ombre sur le puit et des dattes savoureuses aux hommes.

Un peu plus haut, la poulie travaillée dans la masse d'un tronc mesure près de quarante centimètres de haut. L'usure de multiples cordes a creusé une gorge profonde entamant le bois dur et polis par la peine de générations de cultivateurs à ré-inventer ce lieu.
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A elle seule la poulie a porté des tonnes d'eau. A vu la terre donner ses fruits. A entendu les encouragements des jeunes guider les chameaux de traie. Dans un éternel mouvement ponctué par leurs râles de protestation caverneux.


Demain on la remplacera sans doute. Comme bien d'autres avant elle. Sans raison. Tout simplement après des années de services. Elle aura juste fait son temps. Métal, groupe électrogène apporteront à leur tour un ersatz de modernité.
Mais elle gardera ses souvenirs et stigmates gravés en elle, porteuse de mémoire, probablement dans un autre pays, vers d'autres usages ou collections, témoin vivant d'un mouvement déjà oublié chez nous : le chant des poulies.

P.S. : photo réalisée par Pierre, Michel et moi pour la poulie rapportée en Europe.

Plateau de Bagzane au NIGER : le sablier est en marche

Les blocs de pierre, brûlés de soleil, se détachent de la montagne. Arrondis, comme posés par des géants, ils laissent imaginer un subtil jeu d'équilibre aux règles inconnues. Un rocher aux formes généreuses, tombé au fond de l'oued sonne la fin d'une partie. Un autre disposé sur la crête invite à un autre cycle. Ensemble ils défient les lois de l'apesanteur.

Les arbres ont échappé à la sécheresse des dernières années. Des branches brunies, des épines acérées cachent quelques feuilles minuscules. Aucune branche ne se rencontre à hauteur d'homme. Collectées, arrachées elles sont rassemblées contre le village et dessinent une forêt d'arbustes autour des huttes.

La barrière infranchissable pour les chèvres, coyotes et singes égarés, protège les maisons des larcins. Il y a bien longtemps, nous faisions la même chose dans le Grand Nord : les os des grands mamifères y constituaient une haie protectrice. Plus au sud, les cités lacustres permettaient d'échapper aux intrus. Chez les hommes du néolitique, des traces de pieux marquaient ainsi l'espace.

Murs. Barrières. Claustras. L'humanité n'a de cesse d'inventer les limites de la propriété. Ici ces branches amassées, habilement disposées, ruinent les alentours, détruisent toute végétation. Réserve de bois de chauffe et protection, celles-ci ne dureront que tant qu'il y aura des arbres. Le sablier est en marche !

P.S. : merci à Bernadette pour la photo.

vendredi 23 février 2007

Plateau de Bagzane au NIGER : l'herbe tombe du ciel

Le fond de l'oued sabloneux ne laisse que le lointain souvenir de l'eau sur le plateau de Bagzane. Dans les méandres volcaniques s'amusent des hordes de singes roux visibles au petit matin. La terre est rêche, miel, argileuse. Dans chaque interstice, le sol garde l'histoire du passage des animaux. Fèces de chameaux, chèvres, ânes griment des galets polis ou autres fruits secs aux couleurs pastels. On s'y tromperait presque. Avec gourmandise, la nature aride garde le témoignage des traces de vie.

De jeunes filles élancées, noires comme l'ébène, aux formes finement ourlées aborent fièrement une longue perche courbée de cinq mètres. Un seul baton n'aurait pas suffit. Deux branches jointes par un noeud savant tressé permettent d'aggriper les plus hautes ramifications des acacias à l'aide d'un crochet en métal.

Elles secouent si fortement l'arbre, de tout leur poids que les branchettes et feuilles de l'épineux finissent par céder, se détachent et tombent au sol. Un cri résonne. Répété comme un chant. C'est leur signal pour le troupeau de chèvres. Il n'attend pas et converge vers cette manne venue du ciel. Chaque nouvelle branche tombant à terre est prise d'assaut par les bêtes qui grignotent cette rare nourriture. "L'herbe tombe du ciel".Les petites filles sourient et m'observent tandis que j'écris cette nouvelle. Pendant ce temps, Les arbres se dégarnissent. Leur feuillage devient de plus en plus rare. Leurs ramages échappaient au long cou des chameaux et aux caprins équilibristes. Mais l'homme va plus loin avec ses inventions. Cependant arbre ou désertification, il faudra un jour choisir. Mais pour l'instant elles pensent juste à demain. Au maigre lait des chèvres pour composer le fromage de la famille. Ce matin le fourrage vient du ciel et le futur n'existe pas.

P.S. : merci à Bernadette pour le prêt de son appareil photo

jeudi 22 février 2007

Niger : du néant ils inventent un Oasis

Nous sommes à la fin du voyage. Une corde tressée avec les cheiches remplace la courroi du 4x4 qui a cassé il y a deux jours. Fin de la journée. Après des heures de route nous arrivons à ce lieu si souvent discuté durant le voyage. Un engagement de notre part pour aider les Touarges à contruire un Oasis dans un lieu propice, à quelques heures d'Agadez.

Notre imagination fertile imaginait déjà un espace hospitalier. De l'eau généreuse. Des gueltas cachées... Rien de tout cela. Un simple puit perdu au milieu de nulle part dans un océan caillouteux couleur sang. Notre guide, ancien leader de la rébellion Touareg a une vision et résussit à rassembler autour de lui sur ce pari d'Oasis.

Les nomades pasteur du coin, semblent prêt à s'arrêter ici. S'ils ne le font pas auhourd'hui, d'autres prendront la terre. Nous vivons un moment incroyable. Comme un résumé en accéléré de l'histoire de l'humanité. Il aura fallu aux hommes des millénaires pour passer du nomadisme à l'agriculture. Ici à cet endroit les esprits sont prêts pour une mutation sans doute inéluctale et immédiate. L'heure a sonné. Mais cela reste un projet. La terre semble bonne, même écrasée par le soleil. Au loin quelques palmiers doum montrent que la nature pourrait s'installer ici et que l'eau n'est pas loin. Les puits la révèlent à 3 mètres.

Il y a quelques jours les premiers sillons ont été creusés dans le sol. Les jeunes pousses de piments apparaissent, protégées par des branches épineuses d'acacia. Il faudra des grillages pour empêcher les chétives chèvres de croquer cette première verdure.

Aujourd'hui nous allons plus loin avec eux. Vingt petits palmiers vont être plantés dans un fumier naturel. Un touareg a appris le BA-BA et nous montre comment disposer ces futurs datiers. Un peu penchés, la pousse doit protéger le coeur de l'éclat du soleil. Quelques palmiers plus tard, le lieu semble tout à coup plus accueillant. Le rêve pourrait devenir réalité. L'eau est là. Les bonnes volontés aussi. Leur temps n'a pas le même prix que chez nous... Si tout va bien dans quatre ans les premières dattes seront récoltées. L'imagination prend le relais. L'enjeux est de taille. Pas celui de faire de l'argent mais de planter du blé, de récolter des dattes pour assurer une auto-suffisance aux nouvelles populations sédentarisées. On rêve avec eux. L'instant pourrait être historique.

P.S. : merci à Michel pour la photo.

Niger : Agadez, "le phare" Touareg

Après un périple de 15 jours, me voilà de retour du Niger. Il y a trois jours nous decouvrions la mosquée du XVIIIe siècle dans ses plus intimes détails. A l'inverse des bâtiments phares de l'Islam richement ornés, décorés par les plus grands artistes, celle-ci avec ses murs en terre brute, rongés par les pluies, recouvert par endroit à la chaux, donne l'image d'un Islam humble, tout dans l'intériorité d'une relation avec Allah.

L'Iman, nous invita à visiter l'ensemble des salles de prière, comme celle privée du Sultan d'Agadez. Les portes basses arrivent à la poitrine comme les linteaux entre les piliers et contraignent chacun à s'incliner, la tête baissée. Un effacement qui se conjugue avec l'architecture épurée, telle une invitation à la contemplation. J'avais ressenti cette même impression dans l'Eglise de Bethléem il y a quelques années en pélé.

De son côté le mirhab, petite niche indiquant la Mecque et vers lequel converge tous les croyants reste ici le plus dépouillé possible aux antipodes de celui de la mosquée de Cordoue. Blanc, tout en retrait dans le mur, il se remarquerait à peine. Cette discrétion est touchante et renforce encore sa présence. Dans toutes les salles qui ne se visitent pas des milliers d'hommes peuvent prier ensemble dans la pénombre plusieurs fois dans la semaine. Le haut du minaret attire par contre de son côté de nombreux touristes comme la terrasse de l'hôtel de l'Aïr d'où la vue est magnifique sur la Mosquée.

Des retards d'avion nous permirent de profiter de la ville durant deux bonnes journées. Achat de criquets grillés, de quelques bijoux, d'étoffes Peules "boroboros", de tissus africains cultivant l'abstraction, de quelques vieux outils d'un autre âge. La ville nous apportait un étonnant sentiment d'intimité après un voyage dans des contrées plus minérales, volcaniques ou désert de sable. C'est une autre histoire...

dimanche 4 février 2007

En partance pour le désert de l'Aïr

Dans quelques heures je m'envole pour le désert du Niger. Aïr, Ténéré... Ces mots résonnent dans notre imaginaire, comme ces premiers pas des grands explorateurs.
Promesses envoutantes de découvertes avec les "grands passeurs" des sables. Surprises des rencontres avec les caravanes, véritables vaisseaux de l'océan minéral.

Enthousiasme du dépouillement pour un temps, chacun est renvoyé vers lui-même, invité dans l'espace désertique, décelant une Autre Présence. Je suis impatient de croiser l'autre. L'Homme du désert habité. Les témoins aussi de notre passé. Silex taillés, pierres polies, bifaces, tessons de poteries... Posés sur le sol, à même le sable, discrètement, ils invitent l'imaginaire dans le voyage et racontent avec gourmandise leur histoire aux lecteurs du sol.

Jamais je ne me lasse de ces déserts. L'Algérie avec ses magnifiques cathédrales de pierre et son sable de safran. La Libye avec ses lacs salés et ses grands massifs volcaniques.
La Mauritanie près d'Atar, aux étendues si diversifiées et si chaleureuses au coeur des dunes. L'Irak, le plus implacable, fournaise d'où surgit notre plus lointaine histoire entre Tigre et Euphrate, si lourdement ensanglanté aujourd'hui.
Le Yemen avec ses dunes blanches se jetant dans l'Océan Indien du côté des plages de Bir Ali où les vagues jouent de leur fluorescence au crépuscule. L'Egypte avec ses deux déserts, le blanc et le noir, vestiges des rivages il y a quelques millions d'années, aux concrétions calcaires uniques. La Jordanie avec ses rochers témoins de tant de conquêtes, des premiers pas des religions du Livre, qui recèle tant de trésors comme Petra...

Ces déserts ne seront jamais semblables. Composés de pierres, de roches érigées, de grains orangés aux blancs immaculés, de figures veinées formant dunes, de canyons préservés, d'animaux endémiques perdus dans un point d'eau protégé... Chaque désert conjugue à sa manière le fil de la vie.

A bientôt sur le blog, un peu plus tard en Février.
Amicalement,
Bertrand

L'esprit Mimih de John Mawurndjul

Du haut de son un mètre trente, l'esprit Mimih vous accueille, les deux bras suggérés d'une incision latérale, d'un souffle de vie s'échappant de sa bouche arrondie.

Le dessin hachuré, au nom énigmatique de rarrk, se nourrit des couleurs naturelles de la terre d'Arnhem. Enigmatique, cet enchaînement de croisillons souligne les ondulations du corps. Comme un tissage, d'alternances subtiles, codifiées de noir, rouge, orange, les lignes révèlent la signature du clan de l'artiste John Mawunrdjul.

En écho, à quelques pas dans le salon, répond une écorce peinte "bark painting" du même artiste. Au fil des années, l'oeuvre de John Mawurndjul devint abstraite jouant de combinaisons de plus en plus audacieuses et innovantes.

Ses créations contemporaines séduisent de part le monde, comme au coeur du projet architectural du Musée du Quai Branly à Paris, avec le plafond peint de la librairie et une immense colonne ou "hollow log" au tracé complexe et d'une rare finesse.

L'artiste, nomade dans ses jeunes années, n'a rencontré l'homme blanc que plus tardivement. Il se présente volontiers comme un alchimiste, grand témoin des rites, les suggérant bien plus qu'il ne les révèle, tant cela est sacré pour sa communauté Kuninjku.

Au pied de l'esprit Mimih, quelques témoins du néolithique d'un autre continent, avec deux meules portatives collectées dans l'Akkakus, et un biface en silexite du paléolithique, posés sur une malle de voyage du XIXe siècle.

Pour en savoir plus :
L'ouvrage sur l'exposition "crossing country the alchemy of western Arnhem Land" à la Art gallery of New South Wales.