mardi 26 février 2008

L'Art des Magdaléniens : les deux Bisons d'argile

© Cliché Bégouën*

La découverte de grottes préhistoriques berça mon imaginaire. Dans la famille, on évoquait souvent devant nous l'invention des Cavernes du Volp en Ariège, par le Comte Bégouën et ses trois fils.

Max, un des frères était l'ami de mes arrières grand-parents. Il vint souvent passer des vacances en Provence chez nous. Lors des repas, j'imagine les récits qu'il devait raconter devant ma grand-mère fascinée. Je ne l'ai jamais rencontré mais notre mamie nous conta l'histoire d'oncle Max et de la découverte des bisons d'argile sur leur propriété avant la guerre de 14. Un rêve d'adolescent... Un mythe pour paléontologue... Cette oeuvre reste aujourd'hui l'unique sculpture d'argile ayant traversé la Préhistoire jusqu'à nous. Sans doute d'autres ornaient-elles les grottes de cette époque mais l'érosion fit son ouvrage.

Ces derniers jours, je retrouvais quelques notes manuscrites de Max Begouën, en errata d'un ouvrage de l'Abbé Breuil* publié par le CNRS en 1958. Elles étaient accompagnées de photos originales en noir et blanc également annotées.
Tout commence comme un roman d'aventure...

© Cliché Bégouën*

En 1912, à plusieurs reprises durant les vacances d'été, les trois frères pénétrèrent sur un radeau composé de bidons de pétrole vide dans les galeries souterraines du Tuc d'Audoubert. Dans ce large complexe se glisse la rivière du Volp en Ariège. De lacs en lacs, après un parcours de plus de 2 km sous terre, ils arrivèrent dans des galeries inférieures. Des inscriptions indiquaient que d'autres les avaient déjà précédés au XVIIIe siècle.

Le 10 octobre, "les trois jeunes gens prirent un couloir ascendant. Face a une draperie de stalagmites, Max Begouën eut l'intuition qu'elle obstruait un passage. Il la brisa, pénétrant, le premier, depuis l'âge du Rennes, dans une sorte de long couloir. L'après-midi, avec ses frères et François Camel ils en firent l'exploration, poussant jusqu'à une dernière salle où, contre une roche, deux Bisons d'argile s'appuyait**". Ce male et cette femelle les attendaient depuis 15 000 ans.

© Cliché Bégouën*

{EDIT} du 28/02 à 2h AM. Ces bisons d'argile apparaissent lisses, avec à peine quelques craquelures, comme si quelques heures après l'ouvrage l'humidité commençait juste à quitter la matière. Il n'y a pas de poussière. Pas d'érosion. Pas d'inclusions étrangères. Je reste émerveillé par la délicatesse de ce travail tout dans l'expressivité et la simplicité. Les contours sont francs. En peu d'éléments l'essentiel y est rassemblé. Cela signe des capacités élevées à l'abstraction et la subtilité du niveau de civilisation de ces artistes.
Les bisons sont grands avec une taille autour de 30 cm chacun et suscitent des questions : dans quel rite chamanique ces formes sortirent de terre, puis à quelques espaces de là, s'envolèrent, pour imprimer les parois de multiples fresques ? Y a t-il une parabole cachée ? Certainement. Mais 17 000 ans plus tard nous avons perdu le lien avec ces hommes, en tous points : pensée, mythologie, techniques... Il ne reste plus aucun pont, contrairement à la culture aborigène où des hommes d'aujourd'hui vous explique encore des fresques d'il y a 40 000 ans.
A quelques mètres des bisons figurent imprimés dans la glaise des pas d'enfants et de jeunes adultes, fortement ancrés dans le sol en appuyant sur les talons. Souhaitaient-ils suggérer les pas des bisons ? Ou un chemin initiatique en lien avec les fresques et la typologie du lieu ? Nous n'en saurons rien. Il reste un ensemble inoubliable, d'une rare fraîcheur, comme un trésor offert au présent./{EDIT}

La découverte du Tuc d'Audoubert date du 20 juillet et celle des Bisons d'argile du 10 octobre 1912. En juillet 1913 fut exploré le Touréou. Contrairement à ce qui est indiqué dans l'ouvrage ci-dessous, c'est François Camel et Max Bégouën qui descendirent les premiers dans l'aven indiqué par un paysan. Le Comte Bégouën resta à l'entrée avec ses fils Jacques et Louis, de ce qui deviendra bientôt la grotte des trois frères.

L'ensemble de ces kilomètres de galeries offrirent de magnifiques peintures rupestres, gravures, mobiliers de l'époque du Magdalénien. Une partie des fouilles et de la collection Bégouën furent données au Musée de l'Homme dont de superbes propulseurs en os, des plaquettes gravées, tandis que des bestiaires peints ornent encore aujourd'hui les parois des différentes grottes comme celle du sanctuaire ou des trois frères avec plus de 600 oeuvres rupestres relevées par l'Abbé Breuil. Ces galeries sont aujourd'hui fermées au public.

Le Comte Henri Bégouën publia différents ouvrages ou articles dont certains sont disponibles sur la toile, comme les bases magiques de l'art de la Préhistoire.
Wikipédia consacre une page à la grotte des Trois Frères.
Si vous avez l'intention de visiter la région, quelques indications sur la vallée de Montesquieu Avantes.

Aujourd'hui, un de ses descendant, Robert Bégouën est conservateur des différentes grottes et organise des conférences sur les découvertes réalisées sur place comme le fameux sorcier, rare figure humaine de cette époque.

(*) La mention du © sur ces clichés probablement réalisés par la famille Bégouën reste une supposition, sachant que les photos originales comportent une mention manuscrite du sujet, sans indication de l'auteur de la photo. Ces photos ne sont cependant pas libres de droit.

(**) Les Cavernes du Volp" Trois Frères - Tuc d'Audoubert, CNRS par Henri Bégouën et l'Abbé H. Breuil. Plus notes manuscrites de Max Begouën.


7 commentaires:

Anonyme a dit…

Magnifiques photographies. La mise au point sur une zone limitée qui donne une épaisseur et amplifie le mystère. Ce qui est frappant c’est l’impression que les choses viennent de se faire, que les sculptures sont à peine terminées ou en demeure, en attente du retour de celui qui les a faites. J’avais eu cette impression troublante lorsque j’avais visité la grotte de Niaux, en Ariège également : des empreintes de pas « toutes fraîches » dans l’argile, devant nos yeux. Ils venaient de passer : il y a ... millions d’années. On ne peut pas s’extraire de ce trouble. Une proximité dans l’espace et curieusement l’irréalisable du temps qui se produit.
J’ai fréquenté souvent cet univers des « trois frères » et le mythe attaché à leur nom, dans le Couserans où les Bégouën ont leur château familial, tout près de Castillon. Lieu qui ne se visite pas.
C’est dommage.

Bertrand a dit…

Bonjour Holbein,

Je viens de faire une petite mise à jour du texte car je n'avais pas eu le temps hier. Dans le même complexe de grottes existent également des traces de pas, fortement marquées dans la glaise... Comme je comprends votre émotion à la grotte de Niaux...
Je trouve dans ces traces, dans ces objets, des passages à travers le temps. Tenir un biface du Paléolithique me donne comme l'impression de serrer la main de son inventeur. Son geste se retrouve. La prise est parfaite. Rien n'a été laissé au hasard.

J'aimerais tant visiter ces lieux également. Merci pour votre visite.

Bertrand

Anonyme a dit…

Toujours aussi intéressantes et captivantes tes articles. Les grottes préhistoriques, quel beau retour aux sources et à l'histoire de l'art...
Malgré le temps qui passe, heureusement on s'intéresse encore et encore à ce genre de mythe qui finalement n'était qu'une simple réalité.

Anonyme a dit…

Beau souvenir et toujours aussi interessant...merci
bon lundi

Anonyme a dit…

Arrière petit nièce de Max.. je trouve ce topo complet, bien écrit, et plein d'émotion... merci à vous en mon nom et au nom de toute la famille pour ce petit hommage-web aux bisons d'argile... à Max... et à travaers eux...aux magdaléniens !!!
MB.Bégouën

Anonyme a dit…

Bonjour,

Etant arrière petite fille de Jacques Bégouën (un des trois frères) et étant à la recherche de mes ancêtres, je suis heureuse de lire votre article.
Coridalement,
S.C

Bertrand a dit…

Chères petite nièce de Max et arrière petite fille de Jacques,

Je suis touché par vos sympathiques commentaires et votre visite ici à cet endroit sur le blog. Merci d'y laisser trace de votre passage comme sur un livre d'or.

Votre famille a beaucoup compté dans cette découverte et dans le rôle qu'elle a également joué dans la circulation des écrits de Pierre Theilard de Chardin dont je n'ai pas parlé sur le blog. Mais qui revenait bien souvent dans les discussions de ma famille, en parlant également de Max. De belles proximité de pensées...