"Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite..." Je me souviens de cette comptine chantée dans nos tendres années. La farine se faisait toute seule, sans effort, sous l'effet conjugué du vent et de la force démultipliée des multiples engrenages. Quel niveau technique nous avions atteint pour remplacer l'huile de coude par une brillante mécanique. C'était juste il y a un siècle ou deux. Autant dire hier.
Quelques millénaires plus tôt, un homme travaillait des grains sur cette meule de pierre, avec modestie, en petite quantité. Il destinait le fruit de son travail à sa famille ou petite communauté. Accroupi, écrasant avec force le blé ou l'orge sur la pierre, cette tâche devait être bien pénible. Les squelettes des hommes de cette époque portent les traces de cet effort. Les os ont été altérés, les cartilages profondément abîmés, suscitant l'intérêt des ostéo-archéologues.
Je trouvais cette petite molette il y a de nombreuses années sur les routes d'un trek en Libye. Nous étions en plein Sahara, au sein du massif de l'Akakus. Le groupe avançait dans le creux de la vallée pendant que je sillonnais les crêtes. Des hommes durent s'installer quelques instants en ce lieu stratégique. Des restes de taille de silex, quelques meules ou molettes étaient encore posées dans les interstices de la roche.
La meule quant à elle provient d'une ancienne collection européenne et atteste d'une origine Mauritanienne. Chacun de ces deux objets, le geste patient et laborieux de nos anciens se rencontrent et se combinent sur cet objet ovale tant caractéristique de l'âge de la pierre.
On attribue souvent la naissance de la farine à la sédentarisation des hommes, à cette transition entre la dynamique perpétuelle du nomadisme et l'établissement des premiers villages et cités autour de 7000 av. J.C. Cependant, l'homme commença bien plus tôt à collecter des grains dans la savane et à les goûter les jours de disette.
Ils découvrirent très vite qu'une pâte se forme en bouche comme un chewing-gum si vous les machouillez. L'idée d'une bouillie ou d'une pâte à cuire n'était plus très loin. L'intérêt de réduire ces semences en farine à une échelle plus importante devenait accessible.
Les meules pourraient ainsi être bien plus anciennes, autour de 11500 ans avant nos jours.
La meule néolithique engendra de multiples descendants. L'histoire des moulins pouvait commencer. Les moulins à bras s'avéraient exigeant pour chacun. Les moulins à sang furent tirés par des bêtes ou des hommes encore assez récemment en Afrique ou au Moyen-Orient. L'époque romaine inventa avec succès les moulins à eau. Les moulins à vent vinrent ensuite et restent immortalisés dans notre imaginaire par Don Quichotte.
"Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite..."
A parcourir :
- Paléopathologie du squelette humain
- L'excellent dossier de la revue Pour la science sur "Les maux de nos ancètres" visible sur le blog Pathographie.
2 commentaires:
Sympa. Belle mise en perspective de cette meule du Sahara. Que de beaux objets sur ce blog.
MHL
Merci pour votre visite. Passer la main sur cette meule. Percevoir le grain. Sentir l'odeur du sable, de la terre qui a oublié la farine... Tout cela reste assez émouvant.
A bientôt.
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