jeudi 31 juillet 2014

Donne moi la main

Main positive sur des falaises autour de Oenpelli. 
Territoires du Nord. Australie. © photo de l'auteur.

Il y a 20 000 ans...

Cette rare main positive sur la roche près de Oenpelli, pourrait être touchée. Nos mains pourraient se glisser dans la forme intacte sur la roche. Elle est un témoignage fragile, émouvant, unique, d'une œuvre apposée par un homme il y a presque 20 000 ans selon les dernières datations.

Face à elle, j'ai le sentiment d'une invitation, d'une passerelle entre deux mondes, d'une poignée de main à travers les siècles, comme une parole par le geste, mimétique, pour exprimer au delà des langues, des civilisations, un lien fort et spirituel.

Mains négatives. Parc national du Kakadu.
© Photo de l'auteur.

Un langage des signes ?

Les mains négatives plus fréquentes dans l'art parietal, à travers tous les continents offrent une myriade de nuances. Des doigts effilés, des mains tronquées, amputées, empâtées, suggèrent un langage des signes dont la grille de lecture s'est malheureusement perdue.

Art urbain aborigène. 
Revendication et musique dans la ville de Wyndham.
© Photo de l'auteur

Tags Aborigènes

La main aborigène retrouve une expression plus contemporaine dans des tags, dans les rues des villes du nord de l'Australie comme à Derby ou Wyndham. La combinaison du drapeau aborigène dans une main suggère une signature, la revendication d'une identité et renforce un symbole ancestrale.

Art Aborigène
Au pied du crocodile géant de Wyndham, des mains et pieds positifs.
© Photo de l'auteur.

Mobilier urbain adopté par les Aborigènes

Un peu plus loin dans la ville, à l'entrée du bourg de Wyndham, des mains positives sont appliquées sous la mâchoire géante de la statue du crocodile, comme pour l'apaiser, le remercier, ou vénérer le totem de quelques initiés. Le mobilier urbain se commue en œuvre d'art éphémère puissante.

Mains tracées et mains négatives. Région de Oenpelli.
© Photo de l'auteur.

L'art des mains a trouvé des expressions contemporaines jusque dans les années 1960, y compris sous la forme de tracés plus tardifs. Les archéologues des différents continents sont venus observer les techniques de peinture des artistes aborigènes : application, pulvérisation, jet de colorant soufflé, pochoir, traits plus figuratifs... Les champs sont vastes. Cela éclaira judicieusement les techniques également pratiquées par nos hommes du paléolithique.

Espace jeune à Warmun. Mains négatives.
Réalisation contemporaine par des adolescents.
© Photo de l'auteur.

Au petit matin vers 5h30 du matin, je pars arpenter la communauté pour saisir quelques clichés des murs entrevus le jour précédent, en particulier dans les espaces dédiés aux jeunes. La main omniprésente s'exprime au milieu des tags, et des symboles et marques contemporaines comme Nike.

Studio de la communauté de Mangkaja. 
Mains positives. © Photo de l'auteur.

Les noms des artistes, contributeurs, se mélangent dans un chaos indescriptible, ponctué par des mains positives blanches au dessus de l'évier, sur le mur extérieur du studio de la communauté de Mangkaja.

Communauté de Warakurna, à deux pas du studio. 
Mains positives. © Photo de l'auteur.

La force expressive des "bombes" de peintures sur la tôle, se trouve ponctuée par des mains positives aux couleurs du drapeau aborigène. Des lignes apparaissent, d'autres mains offrent comme une danse.

Route proche de la communauté de Warmun.
Main négative au pochoir. © Photo de l'auteur.

La main comme mémoire ?

L'expression contemporaine des mains aborigènes conquiert de nombreux supports y compris sur les routes comme ici près de Warmun. Le sens de cette apposition reste abscons. Cependant tout près de là un père a perdu son fils sur cette route. Plus loin des fleurs sont disposées.

Cette main magnifique souligne la chair, la carnation, la densité de la main du vivant, le lien fort sans doute avec un fils disparu, les ancêtres sur des millions de générations.

mardi 29 juillet 2014

Magie de la terre Australienne

L'expérience de la terre Aborigène

Il me manquait la découverte intime avec la terre Australienne, au delà des grands paysages, ou monuments emblématiques de cet île continent. Cette expérience de la terre que l'on goûte avec son palais d'enfant, ses doigts poussiéreux que l'on suce, cette odeur minérale étrange qui remplit le nez comme après l'orage d'un été.

© photo de l'auteur

Il me manquait le toucher du grain de cette peau rugueuse décomposée, carbonisée, brillante du mica au centre, lissée par des millions d'années d'érosion plus au nord, poreuse en mémoire des alluvions des anciens fleuves compressés vers le sud.

© photo de l'auteur

Le silence des immenses espaces

 Il me manquait le bruissements des feuilles desséchées par le soleil, les cris des cacatoès, l'accélération du lézard qui s'enfuit, le craquement sourd et inquiétant d'un eucalyptus grignoté sans fin par les termites gourmandes, le claquement sec de la roche refroidie après l'épreuve du jour. Ce silence des immenses espaces et l’importance accordée à la rencontre.

© photo de l'auteur

Il me manquait la lumière incandescente brûlant le pays, les roches cramoisie dés que la nuit s'annonce, avec pudeur, sous la langoureuse caresse des ancêtres fondateurs du monde.

Après deux mois en Australie et 13000 kilomètres parcourus sur les routes et dans les airs je reste marqué par la graphie géologique vue du ciel, œuvre du pinceau audacieux d'un improbable géant.

© photo de l'auteur

Scarification des dunes

La conjugaison des scarifications des dunes offre une alternance de rythmes, presque musicaux dans un balancement spatial. Leurs figures, enchaînements, perdurent, juste ombrés par une rare végétation.

Les aborigènes m'ont éveillé à la magie de leur territoire, par l'entremise de leurs peintures. Leur lecture artistique contemplative, narrative, mémorielle trouve dans une vue d'avion une transcription plus intime. Leur grammaire picturale et visions m'invitent à capter les nuances, les enchevêtrements, les harmonies, les chaos et les figures aléatoires presque fractales au sol.

© photo de l'auteur

Comme une graphie terrestre

En deux jours, je suis passé d’un périple à 80 mètres d'altitudes, à travers le pays, pour ensuite flirter avec les 3000 mètres. La graphie terrestre bouleverse la vision de l'espace, parle comme un autre langage et incarne les folies des créateurs.

Des mers de sel intérieures éclairent l'horizon. C'est spatial, lunaire, déconcertant.
Des espaces immenses, sans aucune végétation, offrent des nuances pastel, et dessinent l'empreinte d'un monstre, ou flirtent avec les jets de peinture de Pollock.

© photo de l'auteur

L'aléatoire, s'offre le luxe d'une composition harmonique. J'aime la partition musicale de la terre Aborigène, comme le son sourd des forces telluriques. En clignant des yeux, je perçois presque comme un mouvement, une ondulation de la surface. La terre vibre, capte le regard, offre un terrain d'évasion dans les moindres circonvolutions.

© photo de l'auteur

Les routes en terres Aborigènes pleurent avec l'érosion

Les routes de sables rouges tracées par l'homme au cordeau pleurent sur des kilomètres sous l'effet de l'érosion, comme des veines écorchées qui jamais ne cicatrisent.
A travers ces visions terrestres je comprends mieux la peinture des grands anciens... Au cœur du désert leur âme d'artiste semble lire l'invisible, décoder les fantômes en halo autour des rochers, les cris oubliés des ancêtres, la mélodie des pistes qui relie les lieux...

D'autres vues des déserts liés aux territoires Aborigènes ici.

© photo de l'auteur