samedi 3 mai 2014

Exploitation minière et respect de la culture Aborigène

Vernissage musée art aborigène Utrecht AAMU
Visite privée du musée d'Art Aborigène d'Utrecht. Exposition Country to Coast, colors of the Kimberley.
De gauche à droite : Georges Petitjean, conservateur du musée. Alan Davie, CEO de Rio Tinto Diamonds and Minerals. 
Jan Hendrikus Cornelis van Zanen, maire de la ville d'Utrecht. Mike Anderson, directeur de l'AAMU.
Photo : auteur du blog.

Billet de train en poche, je pars quelques jours sur Utrecht, saisissant l'occasion d'une invitation de Mike Anderson directeur de l'AAMU et de Hans Sondaal, président du board.  Le musée nous ouvre ses portes pour un évènement nocturne et privé, avec différentes personnalités, des sponsors, collectionneurs, les équipes et le staff du musée.

Combats entre compagnies minières et communautés Aborigènes

La présence du CEO de Rio Tinto Diamonds and Minerals, comme sponsor de l'exposition est une découverte pour moi. De prime abord, cela me surprend. Je garde en mémoire, de nombreux projets controversés et des combats en Australie entre les compagnies minières et les communautés aborigènes.

En particulier la lutte de Jeffrey Lee, pour faire classer une zone de plusieurs dizaines de kilomètres carrés convoitée par l'entreprise Areva et ainsi y éviter l'exploitation de l'uranium. Il obtint gain de cause auprès de l'Unesco, avec le classement de cette terre au patrimoine mondial de l'humanité et son rattachement au parc national de Kakadu.

Engagement de la compagnie Rio Tinto

J'appréhendais donc cette rencontre avec quelques questions, en particulier sur la comptabilité d'une exploitation minière avec le respect des cultures des Aborigènes. 
Et je fus positivement surpris par l'engagement de la compagnie Rio Tinto et de son CEO, à construire depuis 1996 un plan de reconciliation avec le peuple aborigène, dont les actions portent de façon large sur :

  • la gestion et le partage des bénéfices tirés des mines
  • l'embauche, la formation
  • la protection de l'héritage culturel, de la gestion de la terre
  • une gestion et protection environnementale
  • des formations culturelles transversales
  • différents supports pour de nouveaux projets
Leur vision pragmatique et engagée semble porter des fruits des deux côtés, autant aborigènes, que pour la compagnie Rio Tinto. Et visiblement cet engagement ne se limite pas à l'Australie mais embrasse également leurs différents projets au Canada.
C'est dans cette dynamique positive que s'inscrit la subvention par Rio Tinto de l'exposition de l'AAMU "Country to Coast, colors of the Kimberley", ouverte jusqu'en octobre 2014.

Au fil de la visite, j'ai remarqué l'intérêt des représentants de cette compagnie pour les toiles exposées, prenant le temps de les contempler, comme de réagir aux explications données par le conservateur Georges Petitjean.
Certains acteurs de l'entreprise étaient il est vrai particulièrement sensibilisés à cette forme d'art, ayant travaillé dans le passé au sein de communautés Aborigènes, et étant eux-mêmes des amateurs d'art Aborigène.

C'était intéressant de percevoir, au delà des clichés véhiculés en Europe, les liens et partenariats intelligents qui peuvent se nouer entre acteurs traditionnels aborigènes et compagnies internationales.
Un travail de dialogue, d'écoute, et de partenariat constructif, qu'il m'avait semblé par exemple ne pas déceler dans la démarche d'autres entreprises françaises au Niger, lors d'un périple avec des Touaregs issus de la rébellion, avant le basculement du Sahara dans le chaos.

Universalité de l'artiste Paddy Bedford

Art Aborigène : Paddy Bedford
Paddy Nyunkuny Bedford (c1922 - 2007). Dolly Hole, 2006.
Pigments naturels avec un liant synthétique sur du lin.
122 x 135 cm. Jirrawun Aboriginal community.
© Collection Brocard - Estrangin

Peut-être existe-t-il des évènements dans la vie qui nécessitent un tatouage sur le moment. Pas au sens littéral du terme bien entendu. Je n'ai jamais envisagé de me faire tatouer, bien que je trouve extraordinaire les marques sur la peau du peuple Maori, ou les plus anciennes traces chez les Egyptiens et Otzi, l'homme des glaces.
Néanmoins je comprends cette démarche de "peinture sacrificatoire", qui marque pour toujours, jalonne des instants de vie, sert de puits mémoriel à l'individu comme à son cercle social proche. Les tatoués inscrivent à fleur de peau ce qui compte, l'émotion d'un choix qui perdure à jamais.

Des peintures tatouages ?

Je crois qu'il existe aussi des peintures "tatouages", des œuvres marquantes, incontournables, en respiration avec le cheminement d'un collectionneur, en résonance avec sa propre vie et les éventuelles épreuves et changements rencontrés.

Il y a sept ans, j'avais bien repéré l'artiste Paddy Bedford mais je crois que je n'étais pas prêt... Pas encore assez mature...
Il me fallait passer par d'autres chemins, tutoyer d'autres dimensions du mouvement artistique aborigène, m'essayer à la couleur, explorer d'autres individualités avant d'aller vers lui.

Je me suis donc éloigné... puis il disparut en 2007. Ses oeuvres me semblaient alors encore inaccessibles à plusieurs niveaux.
J'avais eu néanmoins l'occasion de parcourir le superbe catalogue de la maison de vente Bonhams, totalement consacré à Paddy Bedford le 21 Novembre 2011.
Il y avait eu également la superbe exposition "Crossing frontiers", la première en Europe, dédiée à Paddy Bedford. Elle fut montée au Musée d'art Aborigène d'Utrecht en 2009, grâce au travail en commun du galeriste William Mora en charge de sa succession, et du conservateur Georges Petitjean.

Signature d'un tournant avec l'artiste Paddy Bedford

Puis je crois que l'arrivée de certains changements dans une vie, méritaient une signature.
Face à des tournants, des fractures apparaissent comme autant d'opportunités pour reconstruire l'ossature...
La remise à plat des fondamentaux, le dépouillement nécessaire s'invite pour ré-inventer un autre itinéraire...
Des questions quelque fois sans réponse immédiate, laissent le temps à la recherche d'une nouvelle voie...

Sur ce chemin de découverte, me voilà peut-être aujourd'hui cheminant vers le puits profond du Dolly Hole, représenté sur cette toile. Il constitue une source de vie clef dans le désert, avec l'espoir de pouvoir s'y désaltérer, de s'y purifier, de s'y ré-inventer...

Le langage de cette peinture ne nécessite pas une introduction à la culture aborigène. Elle parle sans doute par elle-même par la force d'une palette minimaliste noire et blanche, ponctuée par des effets de voile tout en transparence.
L'apparente simplicité offre d'autres niveaux de perception, à travers la profondeur des nuances grises et bleutées, comme un bouillon de vie primordial, un songe qui s'élève au dessus du puits...

Le contraste tranché des formes, ourlées d'un pointillisme blanc, pourrait s'apparenter comme sur d'autres toiles, à la volonté de marquer les plus beaux instants de l'Homme, comme les plus dramatiques avec les massacres dont la mémoire de l'artiste porte la trace.

Voile sur l'immensité des espaces Aborigènes

Ces formes évoquent également au delà du Dolly Hole, situé à Bedford Downs station, la dureté du territoire et de ces espaces désertiques, et l'altérité possible entre le féminin et le masculin, dans cette complémentarité offrant un riche dialogue porteur de vie.
Le voile nacré supérieur nous invite à la méditation sur l'immensité des espaces, sur l'univers des possibles, sur une vision au delà du temps qui passe, sans limite, presque éternelle et universelle.

Réalisée un an avant la mort de l'artiste, cette toile m'apparaît ainsi comme un jalon, un tatouage, une scarification positive, une invitation nouvelle pour marquer ce chemin sur les pas d'une collection, débuté il y a exactement dix ans et planter ainsi une nouvelle pousse.

Jeux d'images comparables avec Google

Au détour d'une recherche de photos similaires à partir de cette peinture sur Google image, je fus séduit par les propositions étonnantes du moteur de recherche. Je ne connais pas l'algorithme génial, mais le résultat est étonnant et invite à d'autres dialogues graphiques et visuels dans une démarche universelle où l'art parle indéfiniment.

Extrait d'une recherche image Google, à partir de la toile Dolly Hole de Paddy Bedford.
Dialogues visuels.