vendredi 26 octobre 2012

Vente aux enchères de la collection d'art Aborigène Laverty : un trouble certain


Combien de fois me suis-je plongé dans des livres d'art ? La rencontre avec les ouvrages sur la collection d'art aborigène d'Elisabeth et Colin Laverty fut particulière, tant ils sont aujourd'hui incontournables si l'on souhaite comprendre la vie de ce mouvement d'art contemporain.
Les oeuvres d'un haut niveau de qualité y côtoient de superbes photos de paysages, dans des face-à-face où les couleurs se conjuguent à l'infini.

En mars dernier, je voyais pour la première fois leurs toiles de visu : la collection Laverty était exposée au Musée d'art aborigène d'Utrecht (AAMU). La sélection intéressante, évoquée dans un précédent article du blog, offrait un aperçu assez pointu des 2000 peintures rassemblées durant plus de 30 ans pour les Laverty.

Hier, je lisais différents articles dans le presse australienne. Ils annoncent à grand renfort de communication, la vente par la maison Bonhams d'une partie de leur collection.
Selon les Laverty, il s'agit de libérer une partie du stock qui "ne voit jamais la lumière du jour"...

D'autres arguments sont avancés, comme l'importance de préparer leur succession et de rendre plus facilement gérable cette collection...

J'étais néanmoins triste d'apprendre cela. A chaque fois qu'une collection trouve le chemin des enchères, j'ai le sentiment qu'un parcours s'arrête, qu'un cadre cohérent, ou une belle oeuvre s'évanouit.

Plus belle collection d'art Aborigène privée

Il s'agira d'un évènement important : c'est la plus belle collection d'art aborigène privée. Ainsi les toiles proposées à la vente seront présentées à Londres, New York, avant la vente aux enchères en Australie.

Néanmoins quand je pense au cheminement des Laverty dans l'art aborigène, à leur rôle pour soutenir les communautés, à leur capacité à détecter les nouveaux talents et à les porter le temps d'une reconnaissance plus vaste... je ne peux cacher une certaine inquiétude.

Certes ils continuent à acquérir des toiles, en dépit de la maladie de Colin. Mais par ce signal fort d'une vente aux enchères, ils viennent de déterminer la fin d'une croissance en volume de leur collection.
Auront-ils tendance à donner d'autres accents à leur collection, en convergeant vers un thème, en se polarisant sur certaines communautés ?
Souhaitent-ils effectuer un tri entre les oeuvres d'art et les chefs d'oeuvre qui construiront l'histoire de ce mouvement artistique ?
Il sera intéressant de détecter ces signaux faibles dans leur sélection.

En revanche, quand une famille commence à céder aux jeux de séduction des maisons de vente, cela éloigne souvent l'éventualité d'un don cohérent d'une collection dans un musée.
Un instant, j'ai rêvé que la collection Laverty compose et suscite la création d'un musée à elle seule.
Entre nous, j'espère que cette porte n'est pas tout à fait refermée...




vendredi 12 octobre 2012

Dilemme de l'art aborigène face à la consommation d'art contemporain

 ©Nora Wompi, Kunawarritji, 2011. Acrylic on linen, 150 x 100cm
© Collection privée Brocard-Estrangin
Quand tout un chacun pense à l'art aborigène, la première image qui vient à l'esprit : c'est un ensemble structuré de points, des motifs étranges, des couleurs ternes liées à la terre : déclinaison d'ocre, de noir et de blanc...
Il s'agit principalement des peintures visitées et revisitées du désert central, dans lesquelles se retrouvent à la fois la production pour touriste, les toiles à vocation décorative, et celles fort différentes de communautés reconnues et établies comme Papunya et Utopia.
A elles seules, toutes ces toiles représentent dans l'imaginaire collectif l'art aborigène dans ce qu'il a de plus beau ou de plus médiocre.

Sortir de ces sentiers battus est difficile pour un galeriste. Il prend le risque de ne pas répondre aux schémas de pensée de ses clients. Hors les points posés sur toile, point de planche de salut si l'on écoute le plus grand nombre. Ils veulent cet art aborigène là et rien d'autre.

D'où cette question qui me tarabuste :
L'art aborigène contemporain peut-il s'éloigner définitivement des stéréotypes attendus ?

Un rendez-vous avec trois grands galeristes d'art contemporain hier au soir me conduisait à songer à une réponse négative.
Ils furent enthousiastes face à des toiles des années 90 en provenance d'Utopia, ou à d'autres de Papunya, principalement dans des teintes, noires, rouges, ou blanches.
En revanche, je pouvais voir à leur moue spontanée, que les couleurs oranges, jaunes, un peu années 70 ne leur convenaient pas vraiment.

Je me faisais un devoir de leur montrer d'autres styles, d'autres régions et talents.
Kathleen Petyarre et son rêve du Lézard Diable rencontre un indéniable succès et traverse l'épreuve du feu avec un passeport aussi bien pour l'art aborigène que l'art contemporain.

A l'inverse, ces galeristes étaient un peu désappointés par des styles plus audacieux comme Nora Wompi, Wakartu Cory Surprise, Sonia Kurarra, Alma Webou ou bien d'autres...
Ils pensent aux toiles facilement vendables pour un marché de "consommateur d'art contemporain", ne connaissant pas l'art aborigène.

Des couleurs trop osées se démodent selon eux, tranchent avec ce que les gens attendendraient de l'art aborigène.
Quelque part cela se rapproche un peu trop de ce qui se fait chez nous en Europe, où notre production artistique ne manque pas de talents.

Nous passons deux heures à discuter ensemble. Je suis enthousiaste à l'idée de leur faire découvrir cette forme d'art, à leur expliquer ma démarche de collectionneur.
Quand ils me parlent de couleurs audacieuses j'argumente sur les talents innés de coloriste des aborigènes, leur découverte de l'acrylique, leur capacité de rupture des codes, leur sens de l'invention souvent sans formation artistique.
Quand on évoque les prix pratiqués, ils trouvent déjà ceux-ci relativement élevés. A l'inverse, je souligne la renommée internationale de ces peintres, leur présence dans les plus grandes collections, l'intérêt des grandes maisons de vente aux enchères comme Sotheby's Australia.

J'ai l'impression de me transformer en défenseur de l'art aborigène. Il me semble aussi que son chemin est encore semé d'embuches pour vraiment séduire de façon immédiate.
Comment arriver à susciter un coup de foudre chez un galeriste plus généraliste, d'autant s'il est éclairé, respecté et reconnu sur la place ?

J'évoque l'intérêt d'y revenir, de se laisser gagner progressivement par leur travail, que plusieurs introductions ou "initiations" sont sans doute nécessaire pour capter plus profondément les différentes dimensions de cet art des antipodes.

La partie ne me semble pas gagnée. A flirter avec des audaces créatives contemporaines, l'art aborigène pourrait perdre ses racines et se retrouver alors tout seul dans la jungle de l'art contemporain, en concurrence avec une production occidentale pléthorique.

Je reste passionné par les individualités qui naissent dans ce mouvement artistique. Par l'absence de signature, mais la reconnaissance immédiate de l'artiste à travers sa patte, ses motifs, l'ensemble de la composition.

Il me semble que l'art aborigène ne pourra cesser d'évoluer. On distingue aujourd'hui l'usage d'autres médias : la photographie, la vidéo... Mais aussi d'autres talents apparaissent chez les aborigènes urbains, installés dans les villes. Ils inventent une sorte de trait d'union entre deux mondes.

De son côté, notre peinture occidentale fut religieuse, sacrée, puis pris d'autres directions progressives à travers les siècles, sans que nous ne remettions en cause sa valeur ajoutée, y compris dans certains excès contemporains. Je me suis souvent demandé comment un jeune, sans éducation religieuse, pouvait appréhender de façon complète y compris notre art contemporain. Avec leurs forces inventives, les aborigènes me semblent appelés au même itinéraire, avec l'atout d'une sincérité et continuité tellement puissante.

Dans ses fondamentaux, il gardera dans les créations les plus récentes, le fil rouge d'une histoire ancestrale, de mythes fondateurs, offrant sur ces millénaires de mémoire, un terreau des plus fertiles à la création.

Mais aujourd'hui, nous sommes à une sorte de croisement. Comment continuer à lui donner un élan supplémentaire en allant à la rencontre des clients usuels de l'art contemporain ?

mardi 9 octobre 2012

Impressions : vernissage exposition d'art Aborigène de Papunya au Musée du Quai Branly


Les photos viendront plus tard. Je ne peux ce soir au cœur de la nuit, résister à l'idée de partager avec vous mes premières impressions ressenties lors de l'invitation au vernissage de l'exposition sur les origines de Papunya au Quai Branly.

La première salle est comme une signature. Nous sommes face à des objets : boucliers, couteaux de circoncision, ceintures rituelles, pagnes... Des objets rares, peu exposés, en écho à la chronologie visible des premières rencontres entre aborigènes et occidentaux.

C'est logique, cartésien... Ce remarquable musée est dédié aux objets, inventés, réinventés dans toutes leurs dimensions : utilitaire, spirituelle, mythologique, de l'artisanat aux tensions les plus artistiques.

Mais cette approche par l'objet surprend ceux qui écoutent les évolutions de ce mouvement d'art contemporain.
De mon côté j'aime cette vision. C'est par l'objet, passeur, vecteur de mémoire, que j'ai également rencontré le monde aborigène, avant de succomber face aux toiles plus récentes.

Puis nous passons un porche. Nous quittons un univers ocre profond, sourd, tout dédié à la mise en perspective des objets signifiants, pour découvrir une rupture. L'invention d'une culture, dans le sens de la découverte d'un trésor. En 1971, à Papunya, après des siècles sans considération, les aborigènes d'Australie, partagent un univers. Leur monde à travers l'histoire, les millénaires...
Ils disposent d'une écriture picturale, de signes figurés qui vont changer à jamais la perception de leur civilisation par l'Occident. Il y a 40 ans un peuple va bientôt accéder à la citoyenneté et présider à la naissance d'un mouvement d'art contemporain.

Les toiles majeures exposées au Quai Branly prédisent ce que sera le vocabulaire et la grammaire de ce mouvement artistique. Les signes et motifs fondamentaux s'y distinguent. Ils seront repris, extrapolés, simplifiés, tranfigurés dans une dynamique inventive des artistes au travers des générations. Ici, au Quai Branly il est possible de percevoir les premières vibrations du mouvement, les motifs sacrés encore peu éludés. On est presque face à un bouillon de vie, à une sorte de big bang d'un mouvement artistique. C'est fort, c'est puissant, c'est déroutant.

 Certains, comme mes proches qui m'accompagnaient, étaient en partie déroutés avec ce qu'ils connaissent du mouvement 40 ans plus tard : rupture, codes de couleurs audacieuses, innovations aux frontières du sens premier...
 D'autres se laissent séduire par l'essentiel, épuré. Le motif sans ajout, sans fond. Juste là, unique, signifiant, qui percute et exprime tant dans une bouleversante simplicité.

 Vraiment, il faut voir cette exposition sans schéma de pensée pré-établi. Pour partir à la découverte de ces œuvres qui questionnent notre pensée contemporaine et partage une culture multi-millénaire dans le musée de Jacques Chirac.

 Lors du vernissage, il y avait aussi un côté chaleureux, amical, dans la rencontre de nombreuses figures de l'art aborigène dans le monde : conservateurs de musée, anthropologues, collectionneurs, galeristes de renom, ... en provenance d'Australie, des USA ou d'Europe.
Il me semble qu'un point les réunissait : une sorte de quête, d'enthousiasme, pour l'essentiel qui préside aux destinés d'un monde ?

Pardonnez ce billet rapide, rédigé sur mon iPhone. C'était un retour à chaud en direct de l'exposition.
Bravo à Philippe Peltier (conservateur en charge des collections Océanie), à Judith Ryan (senior curator, art aborigène, de la National Gallery de Victoria) et Philip Batty (senior curator, Australie centrale, Musée de Victoria, Melbourne) pour cette exposition "manifeste" et incoutournable sur sur ce mouvement artistique.

Ouverture à partir du 9 octobre, et jusqu'au 20 janvier 2013.
Lien vers la page de l'exposition sur le site du Musée du Quai Branly.
Lien vers l'association des Amis du Musée du Quai Branly.