vendredi 31 août 2012

Hedland Art Award : l'artiste aborigène Sonia Kurarra primée

Sonia Kurarra. Martuwarra. Hedland Art Award 2012
Most Outstanding work award.

L'artiste aborigène Sonia Kurarra a été primée fin Août dans le cadre du Hedland Art Award pour une oeuvre magnifique portant le titre de Martuwarra.
Elle obtient le prix de l'oeuvre la plus remarquable. Quel que soit l'angle avec lequel le jury a observé la peinture, il a été séduit par l'harmonie, les nuances subtiles et la complexité de la composition.
Cela me donne l'occasion de partager avec vous différentes peintures déjà présentées sur le blog.

© Collection privée Brocard-Estrangin
Depuis 2009-2010, le travail de Sonia Kurarra a vraiment attiré mon attention, en particulier car il est possible d'y ressentir une tension créative, avec une approche figurative où se devinent encore à peine les motifs (poissons, plantes...), et un sens de l'abstraction en développement.

© Collection privée Brocard-Estrangin
Quand je regarde sa production depuis deux ans. Il me semble que le curseur sur ce chemin de l'abstraction, reste stable, dans une exploration infinie des formes, et des jeux de couleurs. Je me laisse séduire par l'audace des compositions et les ruptures d'une coloriste assez extraordinaire.
© Collection privée Brocard-Estrangin
L'artiste avait déjà été reconnue en 2010 à l'occasion à la fois du "West Australian Art Award" et du "Hedland Award", dans la section spécialisée "indigène".

 © Collection privée Brocard-Estrangin
Je suis assez impatient d'observer l'élan nouveau que ce prix pourra impulser à la fois dans sa carrière et dans son style. L'artiste rassemble de nombreux talents et une capacité à ré-inventer son art, ce qui finalement apparaît comme l'artefact le plus essentiel dans un parcours.

mercredi 29 août 2012

Entre ciel et terre : l'astronomie aborigène ?

Seven sisters par l'artiste Sylvia Kanytjupai Ken. 198 x 197 cm.
© Collection privée Brocard-Estrangin
Les gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête... Les grecques inventaient les signes du zodiac pour illustrer leurs mythologies... Les indiens Navarro donnèrent également un sens particulier au ciel, transfiguré dans les peintures de sable... Des recherches récentes à Lascaux, soulignent les correspondances des points cardinaux des animaux peints, avec le ciel retrouvé de l’époque préhistorique...
Face à l’immensité de la voute céleste étoilée, particulièrement lumineuse dans le désert Australien, je me demande que furent les réactions et inventions du peuple aborigène ?

Nomade, ne disposant pas d’abri en majorité, le ciel étoilé devait être présent dans leurs « rêves » et mythes attachés au bush.
Comment ignorer la lumière des étoiles quand celle-ci est sous votre nez toutes les nuits ?
Comment ne pas voir des signes en fonction des correspondances possibles avec les saisons, les évènements de la communauté ?

L’homme depuis la nuit des temps cherche à donner du sens, à mettre en perspective ce qui l’habite, ou les péripéties auxquelles il est confronté. Chez certains artistes aborigènes, comme Gulumbu Yunupingu, Angelina Pwerle…, j’ai été enthousiasmé par le travail d’abstraction autour des étoiles sur les écorces peintes, ou par les pistes du rêve de la prune sauvage représentées à l’acrylique de façon aussi complexe qu’une constellation.

Différentes études ont été lancées pour mieux comprendre l’astronomie aborigène, sans doute aussi complexe que celle de nos anciens. Notre intelligence en occident fut en partie absorbée par le progrès, les inventions technologiques.
A chaque fois que je songe aux peuples nomades disposant tous des mêmes capacités cognitives, j’imagine ce qu’ils firent de leur intelligence, sans « bruit » technologique.
Celle-ci était dédiée à quelque chose de plus intérieur, de plus spirituel. Leur perception du monde s’avérait sans doute beaucoup plus fine que nous, soumise aux assauts de leur intelligence, sans perturbation.

Il y a quelques semaines, je redécouvrais les créations de Tjala Arts. Ce centre d’art est entièrement géré par des aborigènes qui représentent la communauté d’Amata, située à 120 km d’Uluru, au cœur du désert australien.
Il s’agit d’un centre relativement récent, créé en 1997 par les femmes de la communauté. Son nom définitif a ensuite changé de Minymaku Arts en Tjala Arts quand les hommes sont devenus peintre à leur tour en 2006. Qui pourrait douter aujourd’hui de la vitalité de l’art aborigène ?


Une peinture attira mon attention. Elle est dédiée au rêve des 7 sœurs, une histoire ancestrale liée à la création. On y retrouve en particulier des correspondances avec les constellations des Pléiades et d’Orion.

Un homme mauvais (Nyiru) représenté par Orion, chasse les sœurs associées à la constellation des Pléiades et tente de se marier avec l’aînée.
Une poursuite, presque une quête, s’amorce entre ciel et terre, où les jeunes filles tentent d’échapper à ses assauts, s’incarnent en humain, remontent dans la voie lactée.
L’homme finira par avoir gain de cause, usant de magie pour arriver à ses fins et tenter ces jeunes filles avec également de succulentes tomates du bush ou des figuiers.

Une alternative à l’histoire, souligne que la plus jeune fille fut capturée, puis libérée par son aînée, pour ensuite toutes ensemble rejoindre le ciel, où elles finissent par former la constellation des Pléiades… Pour pimenter l’ensemble, l’artiste n’hésite pas de temps à autres à suggérer des éléments sexuels dans la peinture, tellement l’homme mauvais est obnubilé par cela.


Les jeux de couleurs, le balancement des motifs, la finesse de l’exécution, la lecture profonde de l’œuvre à plusieurs niveaux, ne pouvaient que me séduire.
J’avais déjà remarqué le travail de grande qualité de la jeune artiste Sylvia Kanytjupai Ken.
Elle est née autour du 14 mars 1965 sur les terres Anangu Pitjantjara, dans le sud de l’Australie, et elle a commencé à peindre à l’âge de 34 ans, dans la même dynamique que ses parents (Brenton et Iluwanti), et ses sœurs (Kristy et Serena Heffernan).

Il me faudra attendre longtemps pour acquérir cette peinture. Mais l’intention y est.
En considérant la qualité des œuvres produites par cette communauté, je vous invite particulièrement à tenir à l’œil le centre d’art de Tjala Arts.

Vous pouvez retrouver d'autres peintures d'art Aborigène remarquables des artistes de Tjala ici.

lundi 20 août 2012

Evolution de l'art aborigène : un style sous tension

Exposition d'art aborigène à Uccle, Bruxelles. Collection privée.

Chez un anthropologue et collectionneur de l'art aborigène à Bruxelles, je découvrais avec enthousiasme deux toiles a-priori bien différentes, à l'occasion d'une visite d'une expo privée.
De prime abord, il n'y a rien de révolutionnaire dans cette juxtaposition de peintures. Les styles apparaissent bien distincts. Le pointillisme d'un côté. Des traits pleins de l'autre.
La palette de couleur est également différente : dense, foncée comme les couleurs primaires du désert australien sur celle de droite. Plus vive, sur celle de gauche, dans les crêmes et rouge-orangés.

Evolution du style de l'artiste : entre invention et continuité

Rien ne semble de façon évidente relier ces deux oeuvres. Et pourtant il s'agit du même peintre à deux époques différentes de son parcours. Peut-être saurez-vous le reconnaître ?
Pour vous aider je vous donne une piste : il s'agit d'un artiste de la communuté de Papunya...

La proximité entre ces deux toiles va plus loin encore. Et c'est là que réside tout l'intérêt de cette approche comparée. Il s'agit en réalité du même rêve décliné à travers les mêmes motifs.
Le motif central persiste y compris dans son absence, juste suggéré par les diagonales plus géométriques. Il figure au coeur, omniprésent mais invisible, un peu comme ces motifs sacrés que les artistes tentent de cacher.

Vers l'épuration du style et le renforcement de l'effet visuel

L'écriture et cette forme sacrée centrale (itinéraires, trous d'eau, lieux de rassemblement...), constituent l'architecture, la colonne vertébrale d'un mythe. Son importance est souligné par un effet de vibration apporté par des ondes de réflexion en pointillé.
Dans le même esprit, sur la peinture de droite, l'artiste se réinvente. Il garde le principe de valorisation du mythe au coeur. Il y apporte également un effet de brillance, en transformant son trait en lignes multiples géométriques et alignées, dans une dynamique centrifuge et centripète.

Dans ce mouvement d'art contemporain, l'invention nourrit la tradition, avec des styles sous une tension créatrice sans cesse renouvellée.

mardi 7 août 2012

Parcours inédit dans la vallée des Merveilles

La vallée des Merveilles constituait juste une étape d'une journée sur une randonnée de plusieurs jours dans les Alpes, au cœur du massif de l’Argentera-Mercantour. Une partie de notre groupe de marcheurs ne souhaitait pas s'arrêter. Il était cependant difficilement envisageable de passer outre ces magnifiques témoignages de l'âge du cuivre ou du bronze.

© Photo de l'auteur du blog

Après quelques débats, nous prîmes donc un guide. Simplement munis de mon iphone je prenais quelques photos lors de la visite. Ensuite aux détours du tracé du chemin, je pris la liberté de partir à la recherche de ces blocs en pierre de siltites où figurent les gravures.



© Photo de l'auteur du blog


J'étais comblé de joie à l'idée de rencontrer ces représentations de divinités, d'armes, ou de bovidés épurés, patiement poinçonnées dans la roche par des peuples pasteurs il y a 3500 ans. Cela me faisait songer à d'autres peintures rupestres de la période bovidienne découvertes au Sahara, aux jeux de correspondance et aux liens fondamentaux qui unissent nos cultures.

© Photo de l'auteur du blog


Des représentations apparaissent comme récurrentes, à travers les cornes des bovidés, leur équilibre, le caractère circulaire et presque parfait des courbes.
L'image du peuple Peuls, rencontré au Niger, me venait à l'esprit. Leur recherche d'esthétisme est poussée à son paroxisme, avec une façon assez singulière de travailler, d'ajuster les defenses de leurs animaux.
Elle irradie ensuite, y compris chez le sexe fort, un maquillage spécifique du visage, les courbes noires soulignant les yeux. L'animal adulé devient un canon de beauté y compris dans sa transcription sur leurs corps.

© Photo de l'auteur du blog


Dans la photo ci-dessous, j'apprécie particulièrement la symbolisation et la simplicité relative de cette représentation combinée du bovin, de la charrue et du socle pour tracer les sillons. En tant de poiçons mais si peu d'éléments, l'essentiel figure.

© Photo de l'auteur du blog


Ces quadrillages me troublent et m'invitent sur le terrain du rarrk des aborigènes du nord de l'Australie. Que ce soit sur ces rochers ou sur les écorces peintes, il reste assez marquant d'observer dans ces deux cultures un rapprochement possible à travers une vision géométrique, non figurative dans de multiples combinaisons de hachurées.

© Photo de l'auteur du blog

© Photo de l'auteur du blog

La photo suivante introduit une possible rupture et un certain anachronisme par rapport aux représentations de l'âge du bronze. Cette main naïve, presque celle d'un enfant, rend un clin d'oeil à d'autres mains négatives, beaucoup plus anciennes, aux temps de Lascaux.

© Photo de l'auteur du blog

 
© Photo de l'auteur du blog


Un attelage combiné de bovins magnifique. Je suis tellement attristé par les dégradations du site. Vous pouvez observer sur la photo les coups de burin répétés d'un inconscient. Dans cette vallée nous sommes face à un patrimoine en péril.

© Photo de l'auteur du blog

Deux poissons peut-être ? Ils me font immanquablement encore penser aux représentations de la communauté de Maningrida en Australie. Excepté les travaux de la vallée des Merveilles sur les bovidés, il serait intéressant de creuser les correspondances avec d'autres peuples nomades ou pasteurs. Si le travail a sans doute été fait avec les peuples du Sahara, un terrain fertil se présenterait sans doute avec l'Australie.

© Photo de l'auteur du blog