mardi 12 octobre 2010

Décès de l'artiste Weaver Jack

Je viens d'apprendre avec émotion la disparition de l'artiste Weaver Jack, jeudi dernier.

Il est toujours difficile d'évoquer le décès d'artistes aborigènes tant leur nom doit rester comme "suspendu" durant la période de deuil. Aussi si je me permets cette incartade, c'est juste pour souligner à la fois la grande noblesse, discrétion de cette grande dame et le rôle important qu'elle a joué dans son mouvement artistique de Bidyadanga.

Elle fut comme une étoile filante avec un destin singulier. Dans les sept dernières années de sa vie elle transforma notre perception de l'univers de ces derniers nomades par l'intermédiaire de peintures structurées suggérant des paysages confinant à l'abstraction, ourlés par des couleurs vives et audacieuses.

Dés 2003, avec ses premières oeuvres elle enclencha avec la plus jeune génération le mouvement artistique de Bidyadanga grâce au soutien sans faille d'Emily Rohr de Short St Gallery.

Femme de loi âgée, la plus respectée de sa communauté, elle a vécu toute une partie de sa vie selon la grande tradition des nomades. Avec son groupe elle constitue ainsi un exemple des peintres de la diaspora, dispersés de leurs terres ancestrales par des sécheresses successives.

Leur lien intime, avec le rythme et la vérité nomade des premiers âges de l'humanité, font de ces témoins des sortes de dinosaures irremplaçables de cette immense aventure migratoire des hommes. Ils portent un message et disparaissent tristement les uns après les autres.

Leurs toiles resteront comme des pivots de cette culture, au crépuscule de cette civilisation des intellectuels du désert. On peut souhaiter que ces peintures inspirent demain les plus jeunes artistes, qu'elles les invitent à perpétuer cette transmission graphique d'un savoir nomade presque universel.

Pour en savoir plus sur Weaver Jack :

jeudi 7 octobre 2010

Brainstormings créatifs : fertilité et profondeur des peintures aborigènes



"Wayampajarti Jila" by the artist Wakartu Cory Suprise ©
152 x 213 cm.

© Collection privée Brocard-Estrangin


De temps en temps il faut oser établir des passerelles entre différents mondes. Le mois dernier j'ai provoqué la rencontre de ma vie professionnelle avec une passion, l'art aborigène.

Face à des peintures, plus de 150 personnes du nord au sud de l'Europe, se sont penchées sur la question suivante : "quelles initiatives de changement cette peinture vous suggère-t-elle dans le cadre de nos processus financiers ?".

La question assez iconoclaste, complexe avait de quoi désarçonner les participants aux différents brainstormings, d'autant qu'ils ignoraient tout de l'origine des toiles et des artistes.
Les premières réactions ouvraient des pistes intéressantes : équilibre des forces, chemin transversal, processus linéaire, tableau de bord avec système d'alerte, pierre blanche pour trouver son chemin dans les méandres de la finance... De là ils furent invités à aller plus loin, à investir cette première impression pour en tirer un enseignement, des opportunités de changement.

Seize peintures, de Papunya, Utopia, Warmun, ou Bidyadanga amorcèrent les sessions créatives.

L'exercice fut fertile, pluriel. Il offrait également l'occasion d'introduire en quelques mots l'art Aborigène, assez peu connu dans la vieille Europe.

La toile ci-dessus ne fit pas partie du lot. Elle est portant emblématique d'un art en délicat équilibre entre tradition et modernité. Qui d'autre qu'une artiste âgée de 81 ans pouvait ainsi surfer sur cette vague contemporaine en usant de techniques picturales spontanée ? Elle vient d'ailleurs de gagner durant deux années consécutives (2009, 2010) les prix du Western Australian Indigenous Art Award. Une reconnaissance majeure ! Ancienne nomade, Wakartu a connu la vie ancestrale du bush, le respect du territoire et des rites sacrés.

Ses paysages codifiés, réminiscences de ses jeunes années, évoquent dans l'abstraction les contours structurant de leur histoire millénaire.
Différentes dimensions s'y invitent. Trous d'eau, réserves de nourriture, lieux rituels du serpent ancestral Kalpartu, s'entremêlent et s'organisent dans un chaos minéral où chaque espace temps identifié et reconnu reste indispensable à la survie.

L'ensemble s'exprime à travers des couleurs vibrantes suggérant à la fois les peintures rituelles des corps et les contours du paysage. Le lissage à la main des à plats introduit une profondeur et les nuances presque plus contrastées des plis de peau ou des rides du paysage.