jeudi 25 décembre 2008

La cloche de l'Obstiné sonne après 68 ans de silence

La cloche de l'Obstiné, navire remorqueur construit par le Gouvernement Français en 1920, tinte à nouveau après 68 ans de silence.
Cette cloche a cependant reçu un choc brutal, bien probablement le 22 Août 1944, jour où le bateau fut coulé dans la rade de Toulon. Le son est ainsi bien net au moment du gong, puis la résonance de celui-ci s'abime quelque peu sur les finissants.

Depuis la date de sa découverte chez un antiquaire des Alpes, je ne me lasse guère de la faire résonner avec respect.
Objet emblématique s'il en est à bord d'un navire, elle rythmait la vie du bâtiment, des manoeuvres, des grands évènements ou des périls.

Le navire l'Obstiné en a connu au fil de sa vie de remorqueur de la ville de Marseille, de sauveur des mers, ou de support des grands paquebots. Quelques exemples représentatifs.

Le dimanche 21 juin 1931, à Marseille, "le cortège enfin s’ébranle et le voici maintenant sur les quais de la Joliette. Le Citis va transporter la vierge sur les flots. Elle est décorée des drapeaux épiscopaux et porte à sa proue un ange qui souffle dans une trompette. Le haut clergé embarque sur l’Obstiné, les prêtres sur d’autres navires. Et toute une flotte de bateaux escorte la vierge sur la mer. Le Citis navigue maintenant vers Endoume. C’est la bénédiction des morts pour la patrie en orient. Puis le retour. Combien sont-ils, ces Marseillais fervents, sur la Corniche, sur les pentes du Pharo, ou massés autour du vieux port. Cent mille?" Source.

Le 3 mai 1933, le Valvidia, navire-hôpital sous pavillon Britannique, fut ainsi remorqué en Italie pour sa démolition et deux incendies se déclarèrent à son bord.

Source : L'Obstiné, UIM - Marine

Le 1er décembre 1936, le TOZEUR, navire de 83 mètres, affecté au transport de matériel lourd et encombrant (locomotives, wagons, rails, etc.) pour l'Afrique du Nord et la Syrie, touche les récifs du Cap de Croix... "l'OBSTINÉ, revint près du cargo échoué. La tempête sévissait toujours, presque aussi violente que la veille. Et toute tentative de renflouement s'avéra impossible. Le navire, d'ailleurs, au cours de la nuit, soumis aux assauts des vagues, avait énormément souffert, et tout espoir de le tirer de sa triste position s'était évanoui. L'OBSTINÉ rentra donc au Vieux-Port en fin de matinée, ce mercredi 2 décembre. Il ramenait l'équipage du TOZEUR, un équipage qui n’avait certainement pas envisagé, 36 heures auparavant, un retour à Marseille dans de telles conditions". Sources : « Méditerranée mer cruelle » 1830-1950 de Pierre Gallocher (Tacussel Editeur)

En août 1940 il est confisqué par l'Allemagne, puis transféré à Unternehmen Seelöwe à Toulon après 1940.

Le 10 janvier 1942,
"A 12 h 40, le Lamoricière sombre à 7 milles au nord de Minorque. Le Gueydon a pu récupérer 55 personnes et, à cours de charbon, rallie Barcelone. Le Chanzy en sauve 25 et rentre à Marseille ; L'Obstiné, arrivé à 16 h, ne peut sauver que 13 naufragés réfugiés sur un radeau qui seront hissés sur L'Impétueuse arrivé à toute vitesse". Source.

Bien d'autres évènements marquants donnèrent à la cloche de l'Obstiné l'occasion de faire entendre son son. Il reste émouvant, témoin de la rude vie des marins. La cloche à son tour garde la trace de son séjour dans la Méditerranée. Elle fut couverte de calcaire et de coquillages dont certains restent encore visibles par en dessous.

L'Obstiné fut définitivement démoli en 1948.

lundi 15 décembre 2008

L'art aborigène : meilleur vecteur de savoir dans le temps ?


Richard Yukenbarri Tjakamarra ©, with the courtesy of Papunya Tula artists.
150 x 120 cm. Collection privée.

Au centre de ce salon, encadré par ces peintures de Maningrida, se trouve une toile peinte de la communauté de Papunya, située au coeur du bush australien. L'artiste Richard Yukenbarri Tjakamarra, star montante, y représente une version du fécond et sacré cycle Tingari déjà présenté ici sur le blog.

Ces toiles attirent l'oeil, me captivent. Certains jours, je reste assis là devant elles et contemple le travail de l'artiste. Des amis me parlaient de leurs expériences esthétiques, face à des tableaux dans des musées. Certains restent assis près de 45 mn face à une oeuvre, s'invite à l'intérieur, redécouvre le geste de son inventeur, se laisse gagner par une harmonie ou un message. Cela ne m'arrivait pas encore. Je restais un zappeur, ému, attentif, mais contemplant rapidement un tableau. Après quelques années de collection, je découvre cette nouvelle façon d'habiter la toile également, d'expérimenter dans le temps, la contemplation l'ensemble de l'oeuvre comme dans le plus infime détail. Cet état contemplatif s'avère étrange et nouricié.

Il est assez fascinant d'imaginer que le dessin d'une oeuvre aborigène, sa complexité, transmettent un savoir, avec un succès inégalé par rapport à l'écriture. Personne ne se souvient du sens des peintures de Lascaux. Inversement, les aborigènes encore aujourd'hui, savent expliquer certaines peintures des grottes, même posées sur les parois il y a plus de 25 000 ans.

Cela questionne en partie mon métier autour du Knowledge Management quant aux meilleurs vecteurs de savoir. L'écriture cautionne le facteur d'oubli de l'être humain. Couché sur le papier, dans un agenda, un texte, un RDV s'émousse dans la mémoire individuelle puis collective.

Finalement l'écriture a combien d'années d'existence ? 4000, 5000 ans ? Guère plus... Un des plus anciens livres ou plaques d'argile, l'Epopée de Gilgamesh, reprend l'histoire d'un déluge. Bien avant la Bible, ce fut la première trace écrite de ce traumatisme dans l'histoire humaine.

Au moment de l'émergence de l'écriture certains voient un grand big-bang. Presque le début de l'histoire humaine. Avec une sorte de mépris, ou de condescendance, d'autres considèrent inversement la Préhistoire. Il y avait pourtant en ce temps-là de grands intellectuels ignorés.
Les mythes fondateurs de l'humanité présidaient, construisaient nos consciences bien avant l'émergence de l'écriture. Imaginez que l'histoire d'un déluge existe également dans l'histoire et l'art aborigène, il remonte à plus de 15 000 ans ou plus.

Dès lors je m'interroge sur la pérennité de la transmission du savoir. Quel support, quelle méthode pédagogique devrions-nous inventer pour le véhiculer sur des milliers de générations ? Face à un monde de l'édition, qui n'a jamais édité autant de livres, comment sélectionner le bon grain de l'ivraie... Les expériences comme Wikipédia restent enthousiasmantes dans une conjugaison de savoirs collectifs. À l’inverse les pistes chantées aborigènes, véritable "songlines", terreaux de transmission, persistent et résistent à des millénaires d'expérimentation...