vendredi 24 octobre 2008

Bancs publics, bancs publics, bancs publics et colonnes romaines

Place de Rosette, Egypte, by Bertrand.

Je regarde cette photo prise à Rosette en Egypte et résonne dans ma tête l'air de Brassens : bancs publics, bancs publics, bancs publics...

Juchés sur ces colonnes romaines, à trois niveaux, les passants discutent, papotent au milieu de l'après-midi. L'usage de ces vestiges est atypique. Abandonnés en pleine rue, mémoires d'un monument antique, ces fûts de pierre revivent un temps dans leur habit de mobilier urbain.

J'y apprécie cette conjugaison des genres, des époques, ce clin d'oeil aux périodes anciennes de l'Egypte antique, et cette ré-invention plus utilitaire de l'objet, adopté affectueusement par le quidam.

jeudi 23 octobre 2008

Musée du Quai Branly et correspondances

Photo prise au Musée du Quai Branly, J+1, by Bertrand.

Le lendemain de l'ouverture du Musée du Quai Branly, j'allais en famille le visiter. Face à une file de plus de 4h d'attente, je choisissais l'entrée administrative. Munis de ma carte de membre de l'association des amis du musée, nous rentrions dans l'enceinte avec une carte de presse chacun, sésame pour y prendre quelques photos.

Dans le musée tout n'était pas encore parfait. Une petite lampe de poche sur un porte clef permettait de lire les étiquettes peu éclairées. Il y avait une émotion perceptible dans cette découverte. Des visiteurs s'enthousiasmaient. D'autres s'irritaient.

De mon côté, aujourd'hui, je suis séduit après plus de 10 visites en ce lieu. Le nombre d'oeuvres exposées me suggère un peu un cabinet de curiosité, du plus bel effet.

Les murets arrondis, tissés d'une peau en cuir, servent de fil rouge, de chemin initiatique à travers les collections. Des figures en braille y figurent imprimées. Y passer la main, revient presque à lire le temps, à appréhender la matière, à tenir la rampe vers une autre connaissance, didactique, accessible par tous les médias disponibles : écrans vidéo incrustés, panneaux imprimés sur le cuir, schémas explicatifs...

A chaque retour au musée du Quai Branly, j'aime flâner dans ces allées, rester un instant au sein de la grotte aux écorces, y écouter les réactions des visiteurs, éventuellement intervenir, dire un mot, partager quelques brides, quelques notions sur le sujet.

Peut-être ne ressort-on pas indemne du musée du Quai Branly. C'est un lieu pas comme les autres. Les cultures y dialoguent ensemble, toutes, de l'ensemble des continents, excepté pour l'Europe grande absente. N'y avons-nous pas d'arts premiers ?

Création, organe d'une république laïc, le musée du Quai Branly, reste un tremplin spirituel vers toutes les religions du monde, hormis encore la religion catholique, à peine suggérée par les fresques coptes d'une église d'Egypte.

Des questions subsistent face à cet arche des arts premiers, suspendu dans la canopée des arbres du jardin à venir. On y passe de l'intime au communautaire, des boites d'exposition thématiques, cabanes s'extripants de la façade, aux grandes salles ponctuées de vitrines. Ressentir, écouter, y flâner, ouvre vers d'autres univers fertiles.

dimanche 19 octobre 2008

Appel du désert

Les dunes de sable dans l'Akkakus, Libye, by Bertrand.

Appel du désert...
Suivre ces courbes. Enfoncer ses pas dans le sable. L'entendre chanter dans son écoulement. Observer de loin les lignes parfaites. Irrésistiblement s'en rapprocher. Les contempler juste devant soi, sans se retourner. Longer le fil de cette dune éphémère, en mouvement permanent, indiscible, très bientôt recomposée...

jeudi 16 octobre 2008

Meules collectives Sahariennes et scarifications du temps

Photo prise dans le Sahara Libyen, à l'entrée d'une grotte.
Akkakus - La roche aux meules, by Bertrand.

Cette plateforme rocheuse se situe à l'entrée d'une caverne du massif de l'Akkakus au Sahara. Elle résonne du chant des femmes et des cris des enfants courants entre leurs jambes. C'était il y a quelques millénaires au Néolithique. Accroupies, avec leurs récoltes de grain, ces mères nomades venaient de moudre la maigre pitance du prochain repas.

Générations après générations, de leurs mouvements répétitifs, ces femmes élancées usèrent la pierre. Chacune avait son creuset préféré où le geste devenait plus facile. Quand la chaleur se faisait trop accablante, les articulations devenaient douloureuses, elles relevaient la tête quelques temps et contemplaient le paysage de la savane aux alentours.

Il n'y avait jamais de moments de silence en cet endroit. L'air ambiant sentait la farine fraîche. Les enfants aimaient y glisser leurs doigts puis dessiner des motifs sur leur visage à l'aide de cette poudre blanche parfumée.

Certains creusets devinrent si profonds, que l'image d'une calebasse en pierre traversa l'esprit d'une vieille femme du clan. Après avoir rempli d'eau cette cavité, elle y plaça une pierre brulante, puis, deux, trois, autant que nécessaire pour assurer la cuisson d'un plat. Un nouvel usage venait de voir le jour.

Quelques millénaires plus tard, des hommes identifièrent en ce lieu un espace de vie des grands anciens. Ils grattèrent à leur tour la pierre pour emporter un morceau de mémoire, élaborer quelques gri-gri à partir de la poudre de pierre du lieu. Tout autour, cet espace garde les signes d'une présence, révèle des éclats de silex taillés et montre dans sa roche les scarifications du temps.

mercredi 15 octobre 2008

Signaux de la nature et créativité chamanique

Photo prise dans le désert de Libye. Massif de l'Akkakus, by Bertrand.

Les signaux de la nature inquiétaient les peuples nomades. Une inclusion dans une pierre. Un rocher à l'enveloppe curieuse. La forme d'une montagne. Le parcours d'une rivière. Leur regard passait des objets à portée de main, au grand lointain. Au rythme des pas, ils avaient encore le temps d'observer. Rien ne venait obstruer la vue. Point d'obstacles dans ces vastes plaines aux frontières du désert.

Certains hommes trouvaient dans ses marques, comme des muses éveillant leur inspiration. Ils y entendaient le souffle de l'esprit. Des messages pour leur intelligence. Des motifs possibles pour leurs créations. Un premier langage picturale.

Plus sensibles que les autres, ces hommes et femmes devinrent chamans. Ils savaient lire et associer ces signes aux évènements du quotidien, leur donnant un relief particulier, un supplément de sens. Cela rassurait leurs congénères face à l'angoisse du lendemain. Médiateurs avec les êtres suprêmes, ils adoptaient des codes, développaient des représentations, y épousaient les pas d'un artiste.

Quelles furent leurs réactions face à ce modeste brin d'herbe traçant un cercle au rythme du vent ? Ils regardèrent probablement cette forme parfaite. S'étonnèrent du mouvement du végétal. Prirent conscience d'un vent tourbillonnant. Observèrent l'ombre. Y lirent une direction, un moment du temps. Dans ce simple brin de paille se trouvait des gisements d'invention. Ils commencèrent sans doute par le reproduire sur le sable, tentèrent d'utiliser le même outil. D'un simple brin ils en firent ce qui deviendrait un compas...

Le cercle accédait ainsi à la conscience humaine. Son succès fut considérable dans les représentations figurant sur les parois des grottes, de l'Australie à l'Europe.
Bien plus tard, l'homme y distingua l'heure du jour...

mardi 7 octobre 2008

Emotion versus connaissance face aux objets néolithiques

Silex collectés au Sahara et en Israel. © Collection privée Brocard-Estrangin


Il est des êtres pour qui les objets parlent, évoquent, émeuvent. C'est le règne de l'émotion, du sensible, d'une intimité avec la matière.
Hier je ramassais ces objets dans les déserts du monde. Et ressentir... Glisser sa main dans le même mouvement que nos anciens. Trouver le geste qui façonna l'objet. Lire les lignes de la pierre. Deviner ces forces invisibles qui guidèrent le tailleur de pierre dans sa découpe. Sentir la frappe douce des éclats tranchants.

Aujourd'hui nous ré-inventons ces objet comme le disent les découvreurs de trésors... Un mot tellement magnifique. Inventer, ré-inventer. Comme si l'objet avait perdu son sens oublié par le temps, négligé par la conscience humaine. Comme si tout seul il n'était rien, sans la vision de sa finalité, de l'outil ultime. Une pierre, rien qu'une pierre. C'est bien probablement notre regard qui lui redonne vie, ouvre le champ de l'imaginaire, ré-insuffle son univers, la communauté, le clan tout autour.

D'un autre côté, la connaissance invite des questions dans l'appréhension de l'objet. Elle peut contribuer à le détacher d'un contact personnel, charnel avec lui. Il devient objet d'étude, scientifique. Il perd son lien avec son propriétaire d'hier et le nouveau d'aujourd'hui. Il est envisagé dans un contexte objectif où l'émotion s'éteint. Plus j'y avance, plus j'ai l'impression de souvent reculer, tellement la connaissance ouvre de nouveaux champs immenses.
Et pourtant il est de ces objets seuls, sans rattachement à quelque chose de connu sur l'instant. Leur usage semble ignoré et ils font le bonheur simple du collectionneur, dans leurs mystères, dans l'émotion qui préside à leur découverte.

L'émotion devient ainsi un passeport créatif et fertile pour leur donner vie. Elle est la nourriture de l'intuition du collectionneur. Elle devrait ainsi peut-être se garder de la connaissance, la précéder le plus longtemps possible pour aller à la recherche de l'objet brut, de ses contours, de sa résonnance intrinsèque, puis s'y abandonner pour rebondir enfin dans d'autres champs...